dimanche 12 février 2012

Un bruit d'abeilles- Monique Payen

« Je vais embrasser Ninne  ! »
Les doigts de Jean se crispent sur sa Vespa toute neuve. Il appuie sur l’accélérateur, comme pour mieux accompagner son enthousiasme .Cheveux au vent, il a l’air d’un conquérant, tout au moins il le croit en cet  instant précis où il crie, combattant le bruit du moteur :
« Je vais embrasser Ninne  ! »

La veille, profitant du brouhaha de la joyeuse bande de copains refaisant le monde autour d’un Coca-Cola, il avait glissé à l’oreille de la jeune fille:
-Veux-tu venir demain faire une balade et essayer mon engin tout neuf ?
Elle avait paru hésiter, puis avec une moue charmante, elle avait laissé échapper un timide « oui »

En approchant de la demeure de Ninne, il pense secrètement au petit bois discret où ,peut-être il pourra goûter à son rouge à lèvres!
Elle est déjà là, l‘attendant sur le pas de la porte
-Oh Ninne, je suis en retard!
-Non, c‘est moi qui suis en avance.
La situation se présente.au mieux
« Serait-elle impatiente? »

Jean n’a pas le temps de savourer son plaisir. Ninne s’est calée sur le siège arrière de la Vespa. Coquette, elle a soigné particulièrement sa toilette: jupe plissée, gonflée par un ample jupon blanc amidonné, s’étalant telle une corolle autour de sa taille
emprisonnée par une large ceinture rouge, légère blouse en mousseline claire, ne parvenant pas à masquer ses petits seins. Le jeune homme rougit un peu. Entourant de ses bras le corps de son cavalier, la demoiselle s’écrase tout contre lui, par jeu, ou  pour se protéger de l’air vif qui se glisse entre leurs deux silhouettes. Gamine, elle frotte son visage contre son dos. Une odeur de tabac blond lui chatouille agréablement le nez
-Tu sens la bonne cigarette!
-C’est que je fume des « Marlboro »
Les lourds cheveux bruns de la jeune fille, relevés en casque mal ajusté, retombent brusquement sur ses épaules. Elle pourrait presque s’envoler. Il fait beau. Le printemps s’annonce. Elle a eu raison d’accepter l’invitation.

Soudain, une branche  barre le passage. Un brusque coup de frein, un cri aigu de Ninne


Elle se retrouve étendue dans un champs de marguerites, jupe et jupon par -dessus la tête.
Affolé, Jean se précipite vers elle
-Tu ne t’es pas fait mal?
Elle ne répond pas. Elle est là, immobile, ,allongée dans l’herbe. entourée par les fleurs blanches. Elle l’est un peu .
Doucement, il se penche sur sa silhouette. Ses yeux sont fermés. Il pourrait compter ses cils. Un parfum mêlé de miel et de citron, son parfum, lui met sous la langue une eau acide et claire. Il se penche encore plus près.

Un bruissement, comme un chant, précède une masse brune. L’azur du ciel est , tout à coup ,strié  par une nuée d’abeilles. Il faut vite déguerpir,  Jean secoue Ninne, mais, freinée par une douleur à la cheville, celle-ci ne peut courir. Affolée, elle se laisse  emportée dans les bras du jeune homme. Après une course de quelques mètres, il s’arrête sous un arbre  et dépose son précieux fardeau. Il peut souffler!
-Comme j’ai eu peur!
-Ce n’est  pas si grave. C’est la saison de l’essaimage. Nous avons  assisté à un superbe spectacle
-Ah! Tu en sais des choses!
Jean rougit un peu, flatté du compliment

-Ne bouge surtout pas! Reste immobile. N’ai pas peur
Interdite, Ninne interroge son ami de ses yeux intensément bleus
Alors, tout doucement, il se penche sur les boucles brunes et, délicatement, délivre  une abeille restée prisonnière. L’insecte s’envole dans un bruissement d’aile

Impressionnée par tant de précision et de douceur, la Belle sent monter une subite admiration pour son sauveur. Elle le regarde pendant un siècle et, ce baiser tant rêvé, tant attendu, tant espérer, c’est elle qui le lui offre

Malicieusement, ces mots lui viennent à l’esprit
« Est pris qui croyait prendre »

Ninne a gardé au front, une minuscule cicatrice, reflet ému d’un souvenir d’adolescence.

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