dimanche 25 mars 2012

Les poussins- Anne-Marie Daubanes


J’ai trois ans.
Du souvenir de ce jour là, j’ai encore au creux de mes oreilles, les cris stridents de mon grand-père, patriarche effrayant de la famille. Issu d’une union consanguine, né malentendant, fruit du mariage d’Alice et d’Henri cousins germains, j’ai toujours pensé qu’il était un peu fou. Dans ma famille, en Aquitaine, les hommes chassaient de père en fils. Un matin de départ de chasse,  j’ai entendu les cris stridents et terrifiants de grand-père, gibecière et fusil en bandoulière ! Il tentait de chausser ses bottes dans lesquelles j’avais, du haut de mes trois ans, placé des petits poussins tout doux, jaune soleil, que je voulais protéger.
Tout en hurlant, tel un animal blessé, il avait renversé ses bottes et sur le plancher du grand corridor, mes petits protégés tombaient un à un, lourdement, tout jaunes, tout mous, sans vie.
La famille entière alertée s’agitait en tous sens pour débusquer le ou la coupable et j’ai le souvenir de ma mère, très jeune femme, terrifiée devant la folie paternelle, ne pouvant me venir en aide. Je fus très vite accusée et la culpabilité demeure.
Il me fallut bien des années, pour que je comprenne d’où venait ma phobie des volatiles sans vie et j’ai encore dans le cœur, la grande tristesse de ce moment, que jamais personne n’a voulu reconnaître.


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