mercredi 28 mars 2012

La lettre- Michel Molinier

Concours du Ministère de la Culture
Contraintes: Sous la forme que vous choisirez inclure les mots
ci-après de J.J Rousseau : âme, autrement,
caractère,chez,confier,histoire,naturel,penchant,songe,transport.

Michel fut classé 5 ème grâce à ce beau texte, et ceux qui le connaissent entendent sa voix nous le lire !

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Le 10 juillet 1920

Mon très cher ami,

Je vous écris du nord de l’Espagne, plus précisément du pays basque espagnol, où, je vais séjourner pour une quinzaine de jours dans cet hôtel qui devrait vous être familier car je vous l’ai si souvent décrit pour vous confier les secrets de ses charmes. La fenêtre de ma chambre s’ouvre toujours sur l’océan et, mon penchant pour la rêverie et le songe, y est toujours exacerbé par la contemplation de l’immensité marine aux nuances sans cesse renouvelées. J’ai toujours été fasciné par l’ordre et le désordre de la mer. Les vagues rugissantes avec leur rythme régulier et puissant qui viennent des profondeurs, interprétant une symphonie aquatique, une mélodie éternelle établie depuis la nuit des temps avec cette subtile contradiction de l’écume détachée, tournoyante, semblable à des mouvements turbulents d’enfants indisciplinés, qui agaceraient en les aspergeant les ventres blancs et gris des mouettes et des cormorans qui s’invectivent dans le jusant.
Ma tendance naturelle pour le rêve et les chimères s’épanche pleinement, lorsque le soleil vient  au nadir s’enfoncer dans l’horizon,  et que la lune liquide comme une larme transcrit le premier acte du spectacle de la nuit naissante.  Mon caractère que vous savez colérique, emporté, nerveux, instable, s’abandonne après quelques heures pour laisser place à une langueur reposante et nécessaire à mon équilibre. La souplesse prend alors le pas sur l’ordre, le désir par la vacuité et, des fragrances de bonheur envahissent ces lieux.
Autrement, hier soir, un chalut au port voisin est rentré. Il semblait comme suspendu sous les ailes nombreuses des oiseaux avides de se nourrir des ventres des navires, gorgés de poissons  débordant des soutes du navire.  Je distinguais du haut de ma fenêtre les visages des hommes durs, accaparés par leur tache. Chez certains, un mégot parfois pendait entre leurs lèvres. Les contempler ainsi me procurait une sorte de jouissance intellectuelle, abstraite, fine, moi qui me tenais debout, engourdi par le vent,  voyageur solitaire, uniquement préoccupé  par mon bonheur insolite.                                                                                                                     

Mais assez parlé de moi ! Vous, comment allez-vous ? Vous savez combien il est rassurant pour moi de compter sur votre amitié, notre amitié que je veux solide comme l’airain car nous savons tout deux manier l’échange dans  l’humilité et l’introspection. Mais assez de théorie, la vie demande des actes, de l’action, d’agir !
Avez-vous dénoué cette tragique aventure amoureuse, cette histoire folle avec votre impétueuse napolitaine ? Vous êtes-vous  enfin rendu compte qu’en enflammant votre cœur et votre âme, elle vous a époumoné, consumé, vidé de votre sang, réduit au rang d’esclave ? Vous traînez-vous toujours à ses pieds, attentifs au moindre de ses souhaits ? Ou avez-vous enfin compris le mal qu’elle vous faisait en vous traitant de la sorte ! Et en définitive, avez-vous trouvé les ressources pour dire non à ses fantaisies, ses fantasmes, son hystérie exterminatrice !
Venez rejoindre ma tanière de quiétude, mon havre naturel de paix ! Venez recouvrer votre équilibre, votre pondération. Abandonnez votre capricieuse compagne et mettez un terme à cette histoire destructrice ! Retrouvez-moi mon ami je vous implore au nom de notre amitié. Je vous jure qu’auprès de gens simples, et qu’à l’issue de promenades sur la plage ou en suivant les chemins de contrebandiers dans les  falaises fouettées par le vent mouillé et salé des embruns, vous récupérerez au bout de quelques jours votre belle sérénité, la noblesse de votre visage  et votre pondération qui font que l’on vous aime tant !
Ne me répondez pas par courrier, mais fuyez ! Et sans réfléchir, venez sans tarder en empruntant le premier transport ! Emportez la lettre pour tout bagage, serrez-la dans votre poing, elle représente votre… votre… n’ayons pas peur des mots ! Votre résurrection ! Achetez un  billet, le billet de votre salut.

Votre fidèle ami,  Bartolomeo.

Et là, je posai ma plume près du miroir sur la table et, je m’endormis.

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