samedi 11 février 2012

Au grenier- Françoise Dupuy


Samedi

C’est décidé , elle va le ranger le grenier de son enfance , encombré de meubles , malles , tricycles et de cette grande armoire à deux portes qui était dans la chambre des parents lorsqu’elle était petite . Depuis qu’elle est au grenier elle sert de rangement pour les vieilles poupées , les dînettes ,les bulletins scolaires et les vêtements de ses bébés dans des cartons bien étiquetés . Ses bébés ont grandi : les jumeaux réclament un espace de jeu : Victor voudrait installer un train électrique et Valentin rêve d’un baby- foot.
Martine ouvre une grande malle où se trouve encore quelques vêtements de sa Maman . Elle se saisit d’une longue chemise blanche en fin linon pour essuyer le grand miroir qui garni l’une des portes de l’armoire , sur lequel s’est déposé une fine poussière , un fin duvet comme une brume de printemps. La glace retrouve son éclat et brille dans le grenier .
Martine sourit et se regarde …mais tout à coup elle entend une voix douce bien connue .
Martine se retourne croyant à une farce des jumeaux . Personne.
_ Regarde moi , dans la glace … Martine ne manque pas d’humour et pense qu’elle devient folle à lier si elle entend parler une armoire ! Se retournant face au miroir elle voit quelqu’un à côté d’elle , une vieille femme en longue chemise de linon blanc . _ Maman ? Mais tu es … _ Oui , morte . Je le sais .
Tu a bien fait d’essuyer cette glace magique , j’attends cela depuis des années , Martine .
_ Maman tu me manques tellement . _ Je sais , je sais , mais tu ne dois rien dire à personne si tu veux me revoir . C’est un secret de mère à fille .

Des bruits montent par l’escalier . Les jumeaux ont faim .Il faut descendre . Elle reviendra lundi .

Dimanche

C’est un dimanche très spécial , c’est la Fête des Pères . Martine est allée mercredi dernier avec les enfants acheter le cadeau que souhaite Vincent : ce tout nouveau drive en titane pour compléter sa collection . C’est un fou de golf Vincent « Le beau Vincent » comme l’appellent ses copines .
_Tu es un vrai Chef , Maman ! Claironnent les enfants excités en faisant de grands swing derrière le dos de Papa .
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Enfin le dessert arrive , et le grand moment du cadeau . Embrassades et rires en cascades . Martine se demande si Maman est un fantôme et si elle participe à leur vie quotidienne ? Ce qui n’est par très cartésien , puisque Maman est morte .
Martine est heureuse d’avoir su former avec mon mari et ses deux enfants cette bulle de bonheur dans laquelle ils vivent sans disputes ni mensonges . Elle attend un troisième enfant , une petite fille . Quelle joie !


Lundi

Comme touts les matins de semaine le timing est serré. Réveiller les enfants , préparer le petit déjeuner pour Vincent et les jumeaux , vérifier les cartables pour l’école . Les tickets de cantine. Préparer les blousons et les chaussures . Et comme toutes les mères les bousculer ._ Allez ! Pressons ! Papa est prêt pour vous emmener . Chaque jour Vincent les dépose au Collège sur le chemin du bureau et Martine va les chercher après les cours .

Ouf ! Enfin le calme du lundi matin . Martine prend un léger petit déjeuner , accompli quelques tâches ménagères n’ayant qu’une idée en tête monter au grenier . Cette fois elle va faire un grand nettoyage Elle y a pensé toute la matinée et s’équipe d’un véritable arsenal de chiffons et produits en tous genres.

Avec hésitation elle s’approche de l’armoire et l’ouvre pour faire l’inventaire : jeter , garder . C’est simple . Mais elle n’y tient plus et refermant la porte elle regarde la glace . La surface est lisse et propre , sans reflet bizarre ni fantôme souriant ou grimaçant . A tout hasard Martine a monté un produit moderne « spécial glace » qui devrait chasser tous les esprits antiques . Pour bien frotter elle prend une grande pièce de cotonnade à carreaux bleus , une vieille chemise de Vincent , devenue chiffon . Elle frotte en tous sens , et recule pour admirer : c’est brillant, c’est magnifique …… et tout à coup ….

Non! ce n’est pas possible ! Apparaît dans la glace , un peu flou derrière elle , son mari Vincent souriant , qui lui parle . Elle n’entend rien ! Pourquoi elle n’entend pas sa voix ?
Elle réalise qu’elle ne l’entend pas car ce n’est pas à elle qu’il s’adresse . Il parle à une jeune femme brune qui rit avec lui .
Ils sont tous deux en tenue de tennis . Il l’enlace et l’embrasse .
Martine ferme très fort les yeux pensant «  encore un coup de fatigue »
Puis les ouvre bien grands .
Comme samedi avec l’image de sa mère , Vincent n’est pas dans le miroir , Vincent a disparu . Vincent n’est pas dans le grenier puisqu’il est à son bureau . Vincent n’embrasse pas une jolie brune aux cheveux courts en tenue de tennis puisque Vincent l’aime , elle , Martine , la mère de ses enfants .

En plus elle est blonde .

Martine se raccroche à ces courtes phrases en formes bulles positives qui reflètent sa vie , sa réalité . Je suis sa femme . Il m’aime . Je suis blonde . Je suis sa femme .Je suis blonde . Il m’aime .
Une litanie qui lui permet de tenir debout et de descendre doucement l’escalier raide du grenier . Elle ne doit pas tomber , elle attend un bébé .
Mais l’image de ce couple reste scotchée à sa rétine . A-t-elle vraiment vu quelque chose ? Un manque de magnésium ? Elle va prendre rendez-vous chez son médecin pour être rassurée . Il faut rester zen , se dire qu’elle n’a rien vu , un étourdissement peut-être ?

« Tiens, je vais appeler Vincent au bureau pour lui dire que je l’aime »
_ Allo ? Bonjour Valérie , C’est Madame Brunet , ça va ? Je pourrais parler à Vincent ?
_ Désolée Madame Brunet il n’est pas revenu de son déjeuner .
_ Il déjeunait dans le quartier ?
_ Non pas aujourd’hui . Un client à décommandé son rendez-vous de quinze heure , je pense qu’il est allée à son Club de tennis . Voulez-vous qu’il vous rappelle ?
_ Non merci , je le verrai ce soir .

Martine raccroche et se sent glisser dans les eaux profondes du doute et du mensonge . Il était donc au tennis . Avec une brune aux cheveux courts ? Mourir . Elle voudrait mourir en s’enfonçant lentement dans ces eaux imaginaires .

Un bruit la ramène à la réalité . Vincent . C’est Vincent , là , devant elle , seul et souriant.
_ Chérie , ça va ? Tu es bien pâle ! Un client s’est décommandé alors j’ai pensé venir déjeuner avec roi et te faire des bisous . Viens dans mes bras.

Elle se blottit contre lui tout en pensant que demain elle appellerait Emma pour enlever cette armoire du grenier . Qu’ils la cassent , la vendent ou la donnent , qu’ils cassent la glace dans le transport et la jettent , elle ne veux plus la voir ici . Jamais .


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