mercredi 21 décembre 2011

L'enfant de le DDAS - Nicole Guesdon


Lorsque j’étais enfant j’aimais un garçon mais il ne le sut jamais.
Grand pour son âge, filiforme, avec une légère claudication. Les autres garçons du village claudiquaient pour se moquer. Un sens aigu de la méchanceté enfantine qui ne pardonne rien. Lui, il claudiquait pour de vrai, matin midi et soir, et enfin il travaillait plus que les autres qui allaient à l’école. Lui, il n’y allait pas.
Il en était dispensé parce qu’à quatorze ans et que l’on est enfant de la DDAS, l’on ne va pas à l’école. Toute la journée, sous un hangar, Il lavait des tonneaux destinés à être rempli de ce petit vin de la Loire.
Mon amour n’était pas de la pitié mais un mélange d’amitié, de fraternité, d’affection qui se traduisait par ce manque irremplaçable lorsqu’il était absent. Mais est-ce cela l’amour ?
Il y avait ce quelque chose de souffrance en lui qui lui rappelait à chaque instant qu’il n’était pas comme les autres. Parce que les autres qui claudiquaient en passant devant lui, ne claudiquaient plus à l’angle de la rue.
Courir, il aurait aimé courir. A voix basse lorsqu’il le disait, son regard portait loin.
Ainsi j’étais destinée à aimer quelqu’un qui claudiquerait jusqu’à la fin de sa vie. Il m’avait expliqué avec des mots simples, que c’était dès le premier instant de sa vie, lorsqu’il avait aspiré trop fort sa première bouffée d’air qu’il était tombé, là, tout près du lit sur le parquet. Etait-ce l’oxygène qui avait été trop lourd en pénétrant dans ses poumons tout neufs ou bien l’amour qui n’avait pas été assez fort pour le retenir ? 
Mon amour à moi aussi n’a pas été assez fort pour le garder. C’est dans un creux des sables mouvants du lit de la Loire, juste devant le château de Chaumont qu’il a fini sa courte vie de claudication.
Les hommes qui ont ce défaut, par nature ou par accident, je les regarde et je pense à ces vacances au bord de la Loire chez ma tante. J’avais dix ans et lui quatorze.
Mon père claudiquait à la suite d’un accident de sport et la guerre n’a pas été bonne avec lui. Je ne l’ai connu que comme cela. Ma mère, elle, avait épousé un grand sportif avant la guerre, un homme qui ne claudiquait pas.

Nicole Guesdon
13.11.2011 - d’après « Une fille un peu louche » Descartes .

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