lundi 12 décembre 2011

La chambre verte- Anne-Marie Daubanes

Je suis seule dans la chambre verte étendue sur un petit lit blanc au tour chromé. Une odeur d’éther frôle mes narines. Les bruits métalliques de la journée dans ce vieil hôpital parisien ont laissé place à un calme feutré, presque doux.
 Le soir tombe.
Nous sommes en  novembre, en ce mois si long, si triste, annonciateur du rigoureux hiver.
Je viens de revoir le film de Truffaut, la nuit américaine. J’ai toujours aimé Truffaut, son univers me fascine. Dans sa vie, il a tout consacré au cinéma. Etrange personnage. Le plus beau dans ce film, c’est la complexité humaine, les mesquineries, les fragilités, les grandeurs. Et surtout, il y a la musique du film qui résume la souffrance, la joie, l’amour, la peur, le bonheur, l’espoir, le désespoir, la mort. Ce soir dans cet hôpital, je me sens terriblement humaine et pourtant……
Dans l’axe de ma porte, de l’autre côté du couloir, une porte toujours close, où seules les blouses blanches, entrent furtivement.
Ce jour là, je quitte mon lit chromé pour faire quelques pas dans le couloir géant. C’est la première fois. La porte habituellement close est ouverte. Je glisse mon regard qui croise alors celui  brûlant, d’un homme, jeune, très jeune, au corps branché, inerte.
Je marche lentement et ce regard ne quitte pas le mien. C’est un regard qui concentre à lui seul, la vie qui a quitté son corps.
J’avance lentement dans le long corridor et le regard de braise tente de me dire mille choses : J’entends,  je vais bientôt mourir, j’ai peur, très peur, approche toi de moi, vient me parler, j’ai besoin d’aide, je suis seul si jeune.  Je vais mourir. Viens me tenir la main. Viens me parler de la vie. Viens m’accompagner. Viens m’aider. J’entends tout cela mais je continue ma marche,  pétrifiée.
Depuis, quinze années se sont écoulées.
J’ai  encore honte de n’avoir pas osé.
Ce regard si vivant me hante encore. Ces grands yeux noirs sont toujours plongés dans les miens. Ils le resteront jusqu’à mon dernier souffle.

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