dimanche 10 juin 2012

Une île au large de la Sardaigne- Anne-Marie Daubanes


Nous sommes en Juin 1968. 

Paris tente de sortir de ses déchirures.
Le voyage a été long, très long, éprouvant. Un voyage en train et en bateau pour Caprera, une petite île de Sardaigne.
De ma vie, je n’avais jamais été aussi loin.
Après le train,  un bateau à Civitavecchia, un bateau pour la grande île. Des heures d’attente, des heures de fatigue dans la poussière…. Un réel bonheur m’envahissait pendant ce voyage singulier, la découverte, la mer, l’inconnu.
J’ai toujours adoré les mers.
Dans le train Paris-Rome, j’ai trouvé un vieux Paris-Match sur la banquette éraflé au  cuir vert bouteille, un Paris-Match qui découvrait des images d’un fœtus in-utero, pouce en bouche,  premières images de l’humain avant l’humain. Je fus captivée, troublée, médusée ! Le hasard n’existe pas.
C’est vers cinq heures du matin que je foulais, le sol de Sardaigne, accompagnée de ma sœur, jeune femme à la beauté étonnante.
De larges barcasses amarrées à d’épais piquets de bois, se gondolaient sur une mer transparente. Les Italiens nous accueillirent à grands coups de « ciao Bella » et le départ pour Caprera fut donné malgré les pieds peu marins !
Traversée chaotique, mal de mer ! Il fallut m’allonger au sol de la vieille barque pour ce dernier itinéraire. Je ressentais que mon corps dans cette épreuve, ne réagissait pas comme à l’habitude.
 Curieuses sensations…
Quelques temps après, j’ouvris les yeux, émerveillée, sur une petite île qui semblait l’endroit le plus reculé du monde et j’ignorais encore que c’est dans ce paradis, cet ilot lumineux, au milieu de la mer de Sardaigne, qu’un des plus beaux moments de ma vie allait se jouer.
L’endroit était sauvage. Une beauté secrète, farouche.
Les rochers tombaient férocement dans la mer et cette eau transparente caressait doucement la plage blanche, irisée,  opaline.
Le ciel était d’un bleu céruléen et dans la translucidité de l’eau, des poissons frétillants, guillerets,  menaient une folle danse. Au fond de cette transparence, on voyait des galets posés tels des pierres précieuses.
La vie dans ce lieu minuscule n’était que promesses de quiétude, de grand bonheur, d’allégresse. Et c’est sur ce sol, du haut de mes vingt ans,  que j’eus la certitude d’attendre mon enfant.
Il était encore trop tôt pour que je puisse comprendre que cette naissance me permettrait de lutter avec l’abandon qui chevillait ma vie. 
C’est dans une caravelle d’Air France, que je fis le chemin du retour avec l’avenir au creux de mon ventre.


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