samedi 12 mai 2012

Journal intime-Monique Payen

Journal Intime

Dimanche 20 heures
Le dimanche, un jour qui détraque la semaine, je cours pour une chevauchée fantastique à Vincennes. Au bord de la piste tout mon corps vibre à l’unisson de cette ambiance qui m’électrise. Je tape du pied d’impatience en attendant le signal du départ, les yeux rivés sur la multitude de couleurs des casaques et des toques, je retiens mon souffle pour mieux crier à l’arrivée de joie ou de déception. Un vrai spectacle vivant avec en plus, aujourd’hui, un gros cigare devant un gros monsieur qui n’a pas eu le réflexe de retenir son « haut de forme ». Le vent le lui a volé. Je ris, lui aussi en suivant mon doigt pointé sur ma toque piquée de camélias blancs restée, bien ajustée, sur ma tête. Je lui adresse un signe de la main avant de m’éclipser rapidement. Le spectacle est terminé. J’ai perdu quelques sous.
Lundi 18 heures
Je vais encore dépenser quelques sous ! Mon manteau, mon chapeau, mes gants, un fiacre hélé, je suis au « Bon Marché ». L’entrée y est libre. On peut y faire des emplettes tout à son aise, effleurer les satins soyeux, les velours si doux, faire couler la soie entre ses doigts, admirer la transparence des voiles, essayer des chapeaux grands, petits, sages, drôles, faire des grimaces devant les glaces, glisser d’un pas de patineuse entre les rayons. Un vrai paradis. J’ai enfin déniché la paire de gants qu’il me fallait. Quel travail ! Je rentre épuisée de ma journée.
Mardi 23 heures
Tout Paris court à l’opéra le mardi. Donc, ce soir, j’ai assisté à la représentation de Boris Godounov. Un peu long, un peu bruyant, bref une soirée qui aurait pu être ennuyeuse si ce n’était mon voisin de fauteuil, arrivé en retard et qui, pour se faire pardonner, m’a offert une coupe de champagne au foyer. En se retirant il a même effleuré de ses lèvres ma main. J’ai souri. Nous devons nous revoir la semaine prochaine. Les aiguilles de la pendule marchent vers minuit. Des pensées dansent dans ma tête, pareilles aux petites bulles dans le verre. Je vais rêver
Mercredi 9 heures
Sur le rebord en zinc de la fenêtre une goutte de pluie tombe de seconde en seconde, lourde et régulière. Dans une robe de moinillon blanche, je regarde la couleur du temps. Gris, il est gris. Un temps à rêver, à lire, à écrire, à caresser le piano avec les « rêveries de Robert Schumann ». Coulée dans le fond moelleux de mon fauteuil je parcours le « Figaro ». Tiens, un certain Proust a fait paraître des poésies. Je vais noter ce nom. Je pourrais le glisser dans un prochain dîner. Je replie le journal. Les 13 paquets d’une patience abandonnée ont glissé sur le tapis. J’aperçois le nom de la dame de cœur « Judith ». Curieuse référence à une personne qui a décapité, de sa main, un général ennemi ! Le temps s’étire lentement. J’ouvre la fenêtre pour voir le froid. Surprise ! Un joli soleil de printemps joue à cache-cache entre les arbres de l’avenue. Vite, moi aussi, je vais aller jouer avec le soleil !

Jeudi 15heures
Il flotte un doux parfum de printemps. D’un pas léger je trotte, le nez au vent. Des pétales de soleil éclaboussent d’or les trottoirs. Je saute pour ne pas les déranger. Tiens, une fleur tombée remonte à sa branche. Non, c’est un papillon marron bordé d’une médiane blanche, un sylvain. Le boulevard des capucines m’emmène tout droit vers l’opéra. C’est l’heure de la sortie des petits « rats ». Des vieux messieurs respectables s’attardent pour les regarder. Amusant leur petit manège. Je me plante devant une vitrine. Elle me renvoie le reflet d’un costume impeccable surmonté d’un visage barbu qui me sourit. Je cambre le corsage, fait demi-tour et emprunte le boulevard des Italiens. Je parie que mon reflet me suit. Pari gagné, il a pris le même chemin. Le printemps me donne des ailes .Je bois une gorgée d’air. A nous deux maintenant. Rue de Richelieu, rue du 4 Septembre, place de la Bourse qu’il doit bien connaître. Je me retourne. Il est là sur le trottoir d’en face. Je m’engouffre dans la cour de l’immeuble du numéro 8, non sans lui avoir tiré la langue, et me retrouve rue Feydeau. Eh oui cher monsieur, les petits rats tout comme les souris, peuvent disparaître par un trou. Ravie de ce bon tour joué à un importun, je m’effondre dans le fauteuil d’un salon de thé. Je me gave d’un gros baba au rhum bien mérité.
Vendredi 17 heures
Patiner est devenu un sport très à la mode. Avec quelques amies nous nous retrouvons chaque vendredi au « Palais de glace » pour siroter un grog tout en admirant les patineurs qui glissent sur la piste, rayent la glace avec un bruit de diamant sur une vitre, se balancent, courent vite, plus vite encore jusqu’à l’arrêt en pirouette. Les mains s’agrippent aux mains. Les jupes s’élargissent en corolles. Une folle envie de me sentir légère, entraînée par mon élan, je me lance. J’avise le grand gaillard, joli garçon, vêtu de drap vert collant qui dirige les débutants. Il me tend la main pour mon premier cours.
Samedi 16 heures

Dernier jour de la semaine, jour de visite chez ma tante, fortunée, vieille, célibataire, sans enfants. Robe noire surmontée d’un col « Claudine »blanc, cheveux gris tirés en un strict chignon, Prudence m’attend. Contrairement à l’habitude, elle n’est pas seule. A mon entrée un homme jeune, sanglé dans un uniforme impeccable, le visage habillé d’une barbe rousse moussante, les yeux verts parsemés de pépites d’or, s’incline devant moi. Une délicieuse odeur mêlée de cuir et de tabac blond me chatouille les narines. C’est Philippe-Jacques, un mien cousin revenu récemment d’un voyage au long cours. La conversation s’engage. Je surprends un discret sourire de mon voisin lorsque ma tante décline l’offre de pralines que je lui tends. Son dentier serait-il la raison de ce refus ? Nos regards se croisent. La connivence s’est installée. Adieu héritage, bonjour cousin. Nous dégringolons l’escalier, bras dessus, bras dessous.






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