mercredi 8 février 2012

Carte de Tendre ou ... du Tendre ? - Yen Pham Lerin

               Le mariage se déroula, sous un soleil timide de Novembre, avec tout le faste attendu de l’union de deux familles de la haute bourgeoisie. Le jeune homme regarda sa fiancée au bras de son père, s’approcher de l’autel d’un pas lent mais assuré. Parvenue à ses côtés, elle releva son voile, laissant son regard bleu, beau comme un lac nordique mais aussi froid se poser sur lui.
En fait, il n’était pas froid, ce regard, il était indifférent et vaguement ennuyé . A l’évidence, la jeune femme assistait en spectatrice à ses propres noces, le corps était présent mais l’esprit comme retranché dans un autre lieu. 
Antoine et Cécile unissaient leur vie et un patrimoine conséquent  devant Dieu et les hommes, assemblée distinguée et élégante, souriant à ce mariage de raison déguisé en mariage d’inclination. La cérémonie fut suivie de brillantes festivités et d’un feu d’artifice assez somptueux pour que nul à vingt km à la ronde ne put ignorer qu’avait eu lieu au manoir de Tendre un  évènement de grande importance.

              Après une nuit de noce où Cécile continua à être présente par le corps mais absente par l’esprit, Antoine, piqué par tant de courtoise froideur , se jura d’amener  son épouse, du lac d’indifférence où elle se complaisait vers  au moins les rivages de la tendresse sinon de l’amour sincère.

          « Savez-vous, chère Cécile, pourquoi ce lieu s’appelle le manoir de Tendre ? » demanda le marié de fraiche date. L’emprisonnant de ses yeux turquoises, sur lesquels ne se reflétait aucun rayon de soleil, la jeune épousée lui avoua son ignorance.
         «   Voyez vous, ce domaine appartenait jadis à la famille de Melle de Scudéry qui fut l’auteur de la carte de Tendre, terre mythique du sentiment amoureux.   J’espère que cet endroit le réveillera en vous. Moi, je n’ai besoin d’aucune inspiration, je vous aime depuis l’instant où je vous ai vue, ma belle Cécile, sinon je ne me serai pas marié, vous le savez bien  ».

         Elle resta silencieuse puis murmura :
         «  Mais vous saviez que je ne vous aimais pas, cela vous importait peu , vous étiez sûr que je ne pourrais que succomber à vos qualités irrésistibles…avec le temps, disiez-vous ! Non, Antoine, je ne parcourrai pas les chemins de la carte de Tendre avec vous » .
Eperdu d’amour, il regarda sa jeune épouse dont il pouvait étreindre l’enveloppe, somptueuse et parfaite, certes, mais dont l’âme restait inaccessible. Il s’avança et lui prit la main qu’elle lui laissa. 

          « Venez, mon bel amour, dit il, il ya une carte de Tendre dans la bibliothèque, elle vous amusera peut-être, à défaut de vous émouvoir ».
         Devant le document délicatement encadré, elle dégagea sa main et suivit du doigt  le cours sinueux d’un des parcours sentimentaux
         «  Je vois  que tout n’est pas rose sur cette carte…village de la Négligence, bourgade de la Tiédeur, lieudit de l’Oubli… Tiens !cela mène au lac d’Indifférence… ! » 
         « C’est un endroit que vous connaissez, chère Cécile,  semble t-il ? » 
         « Oui, assez bien… c’est calme…l’eau y est fraiche » fit elle de sa voix basse et mélodieuse qui faisait vibrer presque douloureusement le cœur éprouvé d’Antoine
         «  Et si je vous y accompagnais ? » se risqua t-il.
         «  Impossible, trancha t’elle, je  m’y sentirai toujours seule, même entourée par un groupe,  même avec vous à mes côtés ! »
          «  Et si vous quittiez ce lac désolé pour rejoindre… voyez,  la ville de Tendre S / Estime ici… ou mieux, là… Tendre S/ Inclination ? » Souffla t-il la bouche tout près de son oreille, coquillage délicieusement ourlé. Elle se dégagea et lui fit face.
          « Par quelque chemin de traverse, hasardeux, hérissé d’orties et de ronces, fréquenté peut-être par un loup affamé ou un renard atteint de la rage ? » demanda t elle, un rien ironique.
          « Je connais pourtant, dit Antoine sans se troubler, des sentiers ensoleillés, tapissés d’herbes tendres et bordés de buissons fleuris, au bout desquels, des enfants qui vous ressemblent nous sourient »
         « Des enfants !... Déjà ! et qui vous ressembleraient aussi, je suppose ? »
         «  S’ils ont votre beauté , Cécile et…ma constance, ils seront bien armés pour la vie ! Mais nous allons un peu vite, vous avez raison : nous devrons avant  faire  une étape essentielle  et longue à…Tendre S/ Réconciliation  » proposa Antoine en souriant.
        Cécile étira sa bouche ravissante aux lèvres douces et pleines dans un sourire qui malheureusement n’atteignit pas ses yeux, admirables, comme chacun le sait.
          « Antoine, fit elle – son prénom dans sa bouche suffit à faire délicieusement tressaillir les nerfs  du jeune homme  - Antoine, sur votre  carte si détaillée et précise, je remarque des lieux que je reconnais…Sincérité, Probité, et… Respect et aussi…Raison. Vous constaterez par vous-même que j’y réside en permanence. N’espérez pas autre chose . Nous n’irons pas ensemble visiter le village de Tendresse et quant à Tendre S / Réconciliation, je ne le vois ni sur cette carte, ni dans notre avenir proche . Vous êtes songeur, Antoine… Que diriez vous pour apporter une conclusion à ces échanges cartographiques ? »
         Malgré une impérieuse envie de la submerger sous les flots d’un discours enflammé et de la prendre dans ses bras, il lui dit simplement :
         «  J’espère qu’un jour vous m’aimerez, Cécile, je vous fais la promesse de tout faire pour trouver votre carte sentimentale et le chemin, sans doute 
difficile et exigeant, qui mène à votre cœur  ».

         Cécile ne répondit rien, eut un sourire un peu triste et quitta la pièce, laissant derrière elle un parfum grisant de fleurs fraichement coupées. Antoine fixa sans la voir la porte qui se refermait, puis, au bout d’un long moment, comme s’il sortait d’un songe, se dirigea vers la carte de Tendre où , au crayon noir, il traça le mot  « IMPASSE »  suivi d’un double point d’interrogation, pendant que dans sa tête, tournait cette pensée « … et si elle n’avait pas de cœur ???  »


                                                Y.  PHAM LERIN

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