vendredi 21 octobre 2011

La mer- Michel Molinier

Cette journée de marche sous le lourd soleil de juillet, avait amené mes pas près des dunes sablonneuses escaladées par des scarabées obstinés, coléoptères courageux, lumineux comme des émeraudes. Une brise légère et parfumée, fouettait les herbes vertes qui dominaient la Méditerranée bleu outremer. De ma place, je voyais se briser les vaguelettes bruyantes. Elles semblaient me sourire, et leur rondeur ainsi que l écume qui s’étalait sur le sable quand elles éclataient, m’évoquait des rires d’enfants et me faisaient chaud au cœur. Je me sentais bien, contemplant la large plage, grande plaine d’indifférence.
Sur les dunes, de multiples empreintes de pieds avaient creusé des cratères aux formes plus ou moins octogonales, témoignages d’estivants pressés de gravir ces collines brûlantes pour aller enfin se rafraîchir dans l’eau. Les gamins armés de pelles et de râteaux en plastique dégringolaient enfin libres vers la mer, la bouche ouverte, les cheveux hirsutes en hurlant leur joie. L’herbe folle, au sommet des dunes ressemblait à des cils, séparant avec leurs subtiles arabesques libertines, la mer bleue d’un coté, les étangs verts de l’autre, semblable à des yeux vairons.

On nommait ce lieu « La grande plaine d’indifférence ». Pourquoi ? Pourquoi pas ? Une légende disait qu’en l’an mille, les juifs dans ces lieux se mêlèrent aux chrétiens pour les soigner et ensuite, ils se convertirent au catholicisme ; mais ne le dites à personne c’est un secret ! Chut, il ne faut pas que cela s’ébruite et, comme les massacres, les ignominies humaines doivent être tues ; puis un jour, elles éclatent aux yeux de tous ! Là, des tibias, là, des métacarpes accrochés à des orbites creuses. Un fémur fracassé sûrement par un biceps jaloux. Des omoplates brisées ça et là peuplaient la fosse macabre saupoudrant le site de leurs fines arcatures inventées par Dieu, Dieu lui-même, Le Grand Architecte de la vie ! Mais qui sait aussi, si bien donner la mort ! Dieu a sacrifié son fils pour nous sauver, mais de qui, de quoi ! Ne devrait on pas ce méfier d’un Dieu qui sacrifie son fils ? Et pourquoi laisse t’il les génocides se répéter ? Si Dieu est amour, c’est de l’humour !!! De l’humour noir vraisemblablement.


Aux confins de cette étroite bande de sable, juste avant les vignobles sacrés et, devant « le bois de belle assemblée », se tenait une cathédrale. Entourée d’essences méditerranéennes, son approche est aisée car le terrain est plat. Le visiteur peut lire sur la bordure d’un superbe rinceau d’acanthe cette inscription :

A ce havre de vie, venez, vous qui avez soif.

En franchissant ces portes, corrigez vos mœurs.

Toi qui entre ici, pleure toujours tes fautes,

Quelque soit ton péché, il est lavé par une fontaine de larmes.





Chérie, peux-tu fixer le miroir dans la salle de bain ? Il est de travers et je voudrais que nos deux regards s’unissent sur son étain glacé. Elle avait une manière de s’adresser à moi bien particulière, bien à elle ! Avec une certaine poésie ! Nonchalante ; Pourquoi, subitement ces deux phrases me submergèrent-elles ?

 Elle, que j’aimais comme une rose en hiver. L’évocation de son image me fit souffrir, le son de sa voix fut comme un acouphène transparent, virulent, lancinant, violent ! Les battements de mon cœur s’accélérèrent et j’eu l’impression que mon cerveau et mon corps tout entier pénétraient dans un bain glacé. Son prénom explosa dans mes oreilles, la douleur devint plus profonde, oppresante, alors que je pensais avoir noyé son image dans l’oubli.



Merde, bordel qu’est-ce qui m’arrive ? Je n’étais pas venu ici pour sodomiser les diptères, scarifier des insectes ou poétiser des vers solitaires ? Mais pour la retrouver elle, et lui faire la peau. Elle avait fait la malle avec la bagatelle de vingt briques et avait prit la poudre d’escampette avec un demi mondain, un boutonneux alcoolique, mi-musico, mi-travelo, un banlieusard fumeur de pétards, n’importe quoi ! Comme disait jo, le patron du café des sports, la pression monte ! Natacha, elle s’appelait. J’aurais du me méfier, avec un préblaze pareil, pas catholique. Faut que je vous dise, on vivait bien avec Natach dans notre deux pièces de la porte de St Ouen , coté Paname. Le matin, on allumait le transistor et on se bidonnait car on était toujours d’accord pour se moquer des chroniqueurs qui bavaient leurs textes en se trouvant géniaux. Certains balançaient des jeux de mots éculés depuis l’ante christ et des phrasioles aussi vérolées que lulu et lolo les deux putes borgnes de l’avenue de Saint Ouen ! L’une le gauche, l’autre le droit, elles faisaient la paire  Mauricette et Lulu, habillées de noir, toujours. Assises sur les mêmes bites de béton, jambes haut croisées, le fume cigarette en plastique noir plongé dans leurs bouches peintes… 
On vivait bien dans notre deux pièces, bordel ! J’avais chouravé vingt plaques au lyonnais d’en face. Pas d’anicroche, même pas une valda égarée dans la cheutron d’un commis. Du velours, un travail d’orfèvre. Ce casse, je l’avais préparé et réalisé comme un artiste, rapide et délicat comme un patineur sur un lac gelé, fluide comme une valise diplomatique remplie de biftons entre l’Afrique noire et la Suisse. J’avais juste oublié mon bitos sur la banque ! Personnel ! Merci. Avec Natacha, ça avait été la nouba pendant une semaine, jour et nuit, nuit et jour. On vivait comme qui dirait l’un dans l’autre dans un autre monde, bien à nous. Je la renversais dans tous les coins de notre petit nid. Elle aimait ça, enfin je le crois, et moi j’avais l’impression de vivre enfin comme un lion ! C’est le père d’un pot’, un musico qui me disait souvent «  Mon frère je préfère vivre dix ans comme un lion, que cent ans comme un mouton » ! Ah ! elle en avait dans le slibar ma Natach, mais je ne voudrais pas être vulgaire. Respect ! L’amour, c’est respect ! Mais un matin, alors que j’étais allé prendre un pti noir chez Jojo, ma Natach, elle a fait la malle avec son boutonneux, le flouse, et m’a fait connard !

Je pensais bien la retrouver sur cette plage, cette plage ou les scarabées déambulent sur les serviettes épaisses des rupins.



Voltaire et Jean-Jacques se levaient la nuit pour écrire.

Je me lève la nuit mais je ne me prends ni pour Voltaire ni pour Jean-Jacques

Je me lève la nuit et je crie

Un long cri intérieur faible comme un gémissement,

Une plainte qui étreint ma nuit et déchire ma vie

Du fond de ma gorge, et qui me laisse désemparé

Sur mon lit entouré d’images de nous !

Peut-être devrais-je prendre mon tue tue… mon pétard quoi !   
Et vlam ! En terminer avec ma nuit !



Le soleil encore chaud descendait vers l’ouest. Je voulais la retrouver et lui filer ma carte de visite bordée de noir avec son nom écrit dessus : Ci-gît Natach, mi potach, mi vach, mi molette…                    

Une daurade argentée en bondissant hors de l’eau coupa l’air, vive et tranchante comme un coup de lame alors que je tenais la corne d’ivoire de mon surin caché dans ma main. La troisième manche sera la mienne et je le saurai quand je verrai la lame s’enfoncer entre ses omoplates dorées. Je suis un sans éducation, un instinctif, un gars élevé  parmi les caillasses de la rue, les trottoirs gris, aussi tendres que la pierre qui borde les revêtements dévêtus de l’asphalte, aussi masqué que les jambes des putes, femmes mères et putes à la fois oxymore du macadam. Vous savez ce que ça veut dire vous être masqué ? C’est avoir la poisse, la scoumoune ! Ca vous parle ?                    La rue fut mon miroir : on va pas en chier une valda : c’est comme ça, mais, au delà de tout ça, mon honneur, mon bonheur c’était elle. Un petit bout de femme quelconque, les cheveux châtains clairs, les yeux bleus, un nez aquilin mais un sourire qui vous lavait de tout le malheur du monde. Sait-on encore sourire ? Parfois, je matte en loucédé ce sourire chez les jeunes mamans qui regardent leurs enfants ! C’est presque le même.
Mon amour c’était elle, elle m’a trahi, elle doit payer, elle doit mourir, c’est ma logique. Je sais que je vais la tuer, et, quand je la verrai s’affaler devant moi, je serai  plus malheureux encore mais c’est comme ça. J’y peux rien ! En attendant, ma vengeance me fait vivre, marcher, cracher, pisser, bouffer, chier. Je ne pense qu’a ça. Je t’aurai pansé avec mon cœur, tu étais si belle ! Dans le ciel illimité des mouettes. Frappe, frappe à mort et pique, pique la. Déchire ses nœuds de dentelle. Ma longue silhouette amaigrie s’approche d’elle, irrésistiblement attirée. Mes pieds soulèvent le sable enfin distrait. Mon froc délavé m’arrive à mi mollets, il est mouillé d’eau salée. Je marche penché vers l’avant, ma chemise blanche est déboutonnée, mes cheveux sales frappent mes yeux. Je suis excité, froid, lucide, vide, tout à la fois. C’est mon corps qui commande et mon cerveau est inerte. Je la vois de dos, je m’approche d’elle, elle tourne ses mirettes vers moi, elle ne bouge pas, elle me regarde droit dans les yeux sans ciller. Ses lèvres restent closes, et ses yeux me fixent interrogateurs ! Ils me disent : « Frappe si tu es un homme ! Tue moi, tue, tue ! ». Comme dans un film au ralenti, image par image, je la regarde assise sur ses fesses, son dos penché vers moi, ses épaules fines, ses cuisses pleines, ses hanches que j’ai aimé, et au milieu de ses omoplates un peu sur la gauche, là ou bat encore son cœur, je pique et je frappe en accéléré deux fois, trois fois, dix fois ! Comme un fou ! Je…je suis exténué, et nous tombons ensemble dans le sable rouge et doré…Mordoré. Elle sans vie et moi désespéré, prisonnier de la haine !

Tue, tue, tu as définitivement éteint mes yeux dans lesquels voulaient couler de l’or, semblait dire sa bouche entrouverte !



De jouissance, on vient par un chemin bordé de roses à satiété.

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