mardi 6 novembre 2012

Histoire d'homme- Yên Pham Lerin

Le wagon du métro était bondé. L’homme aux cheveux blancs, encore svelte, les vêtements genre gentleman – farmer chic, se tenait debout, accroché à la barre verticale centrale et essayait comme tout le monde de ne pas être trop ballotté. Assise sur un siège près de lui, se trouvait une charmante jeune femme, fraiche et blonde, qui croisa son regard.
Comme mû par un ressort, l’homme se redressa et osa un léger sourire sans la quitter des yeux «  Je plais, on dirait  » pensa t- il tout guilleret «  Elle est tout à fait mignonne, cette petite, quels yeux ! Quelle allure ! Elle me rappelle une de mes petites amies à Assas, comment s’appelait- elle déjà ?!...Constance ? Clémence ? Ah ! oui !cela me revient ! Anne- France, oui, oui, c’est cela, Anne-France, blonde comme un champ de blés mûrs, une nuque attendrissante où se tordaient quelques boucles folles, un sourire à éclairer une cave ! Et des jambes ! Les plus belles de la Fac ! » Comme si elle voulait raviver encore mieux ses délicieux souvenirs, lors de l’arrêt à une station, la jeune femme se leva,  l’air avenant  et sans laisser le temps à l’homme vieillissant de rêver encore, dit, impitoyable sans le savoir « Je vous en prie, Monsieur, prenez ma place, je  descends dans peu de temps  ».
        
       En face d’elle, comme une lampe qu’on éteint, le sourire et la lueur dans les yeux de l’homme disparurent. Maintenant, il avait envie de l’étrangler, la petite blonde trop bien éduquée avec son air de jeune bécasse bien comme- il -faut. L’air légèrement pincé, il eut la force de remercier et refusa l’offre, arguant du fait que lui aussi descendait bientôt, ce qui était faux.
       Il se détourna de la jeune femme et s’agrippa à la barre centrale en se sentant un peu las.
       Il vit alors l’expression compatissante d’une dame mûre en face de lui, elle avait tout vu et tout compris mais pour lui, ce fut trop ! La charité de la jeune blonde et maintenant la pitié
de la vieille brune ! Il toisa cette dernière, désagréable et glacial et quitta dès que possible le wagon, il avait un besoin irrépressible de prendre l’air.

       Rentré chez lui, son épouse lui dit gentiment : «  Tu as l’air fatigué  » et lui proposa une tasse de thé. Il la regarda et avec une petite grimace ironique, répondit avec une  douce mélancolie : « Non, ma chérie, merci, plutôt une tisane genre camomille, cela  conviendrait mieux à mon humeur ». Il ne lui raconta pas que ce jour là, dans le métro, pour la première
fois de sa vie, une charmante jeune femme qu’il aurait bien aimé encore séduire lui avait fait l’affront terrible de le voir comme un homme âgé aux jambes flageolantes !
Et pour la première fois, il s’était senti brutalement et irrémédiablement…vieux!


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