jeudi 9 juin 2016

Où ai-je lu .... ??

« Il avait juste assez de culture pour faire des citations fausses » grinçait Lord Byron qui ne supportait pas les cuistres. Nous citons souvent de mémoire, vite, parce qu’un trait nous revient à l’esprit, quelque chose qui n’est pas de nous, mais que nous avons lu quelque part. Quelque part, mais où donc ?
Établir, à la façon de l’écrivain Georges Perec, la liste des choses qui font écho en nous mais dont nous serions incapables aujourd’hui de citer la source, est un bon exercice, frustrant, enthousiasmant, à imiter  « Où ai-je lu que nous n’admettrons jamais pour cause de ce que nous ne comprenons pas quelque chose que nous comprenons moins encore ? » s’amusait Perec
Voici des citations retrouvées …et inventées avec bonheur.


Où ai-je lu que la maison de l'esprit est le corps et celle du corps ses chaussons ?
Où ai-je lu que la balance penche toujours à droite quand les comptes sont bons et à gauche quand ils sont faux ?
Où ai-je lu que le sage se trouve toujours sous un arbre ?
Où ai-je lu que l'Amour n'a de but que le chemin accompli jusqu'au lit ?
Où ai-je lu que nous ne pensons pas sans imaginer nos pensées avant ?
Où ai-je lu que le temps ne s'écoule pas de bas en haut mais nous écrase de haut en bas ?
Amelle Seddiky
 -------------
Où ai-je lu que tant va la cruche au lycée qu’à la fin elle se marie ?
Où ai-je lu qu’il ne faut pas vendre la mèche de Trump avant qu’il ne passe chez sa coiffeuse ?
Où ai-je lu que la moutarde ne monte qu’au nez de ceux qui respirent au-dessus du pot ?
Où ai-je lu que même si les chiens n’aboient pas la caravane passe quand même ?
Où ai-je lu qu’un eunuque guillotiné ça n’existait pas car ce serait une histoire sans queue ni tête ?
Où ai-je lu qu’un lit vertical ça n’existait pas car ce serait une histoire à dormir debout ?
Où ai-je lu que l’avenir appartient à ceux qui ne seront pas morts ?
Anne-Marie TULLI
-------------------
Où ai-je lu que l’avenir appartient à ceux qui se couchent tard s’ils font la fête dans la rue Mouffetard ?
Où ai-je lu que la vérité sort de la bouche des enfants qui mentent à leurs parents ?
Où ai-je lu que le haïku quand il est mal fait est pire qu’un mauvais torticolis ?
Où ai-je lu que sous les pavés la plage et sous les dépravés la page ?
Où ai-je lu qu’il faut toujours remettre au lendemain ce dont on veut rêver pendant la nuit ?
Où ai-je lu que les pétards sont bons pour les poètes en herbe et le rhum pour ceux qui en font la route ?
Où ai-je lu qu’on ira tous au paradis car l’enfer pavé de bonnes intentions est en réfection ?
Où ai-je lu que la séduction ne dure que le temps d’un battement de cils et que l’amour ne dure que le temps d’un battement de cœur ?
Céline Tilly
-------------------
Où ai-je lu qu’une bonne nuit de sommeil apporte la réponse à toute question?
Où ai-je lu que le hareng sort tard le soir?
Où ai-je lu qu’un chanteur aphone est plus agréable sans scie musicale?
Où ai-je lu qu’on peut commettre un meurtre à force de fausses notes?
Où ai-je lu que le silence est cher quand il est rare?
Où ai-je lu que la pluie ne mouille que les imbéciles?
Où ai-je lu que les abeilles ne piquent pas si on ne les voit pas?
Où ai-je lu que rien n’est plus doux à l’oreille que de souffrir en silence?
Où ai-je lu que les étoiles brillent plus fort pour les amoureux car ils ont des larmes de bonheur dans les yeux?
Où ai-je lu que l’écriture c’est meilleur que la confiture?
Où ai-je lu qu’un amour heureux rend éternel et la poésie développe l’âme fidèle?
Où ai-je lu que si le chaton de la voisine se lèche les babines la pluie tombera deux jours et trois nuits voire au-delà?
Où ai-je lu que la vie mérite d’être vécue tant que je suis vivant?
Où ai-je lu que le temps des amants est venu, se nourrir d’amour et d’eau fraîche sauvera la planète?
Myriam Saint-Paul
-------------------
Où ai-je lu  qu’il ne faut jamais chercher une fourni dans une boîte d’allumettes?
Où ai-je lu que le bonheur appartient à ceux qui se lèvent de bonne heure?
Où ai-je lu que rien ne va quand il a plu?
Où ai-je lu que tous les Bretons sont bons quand ils vont dans un far ?
Où ai-je lu qu’il existe deux sortes de lin : les lymphatiques et les lins pas sympathiques?
Où ai-je lu qu’on ne retrouve jamais un hêtre vivant à côté d’un saule pleureur?
Où ai-je lu que Wendy vendit Vichy?
Où ai-je lu que c’est en marchant qu’on devient marchand?
Où ai-je lu que la racine carré de Pi c’est la quadrature du cercle?
Où ai-je lu que les petites pièces font les grandes fortunes?
Où ai-je lu que l’appétit vient en marchant : on mange pâte à pâte?
Où ai-je lu qu’on mange jusqu’à ce qu’on aime?
Où ai-je lu qu’importe la galère où l’on se trouve le tout c’est d’arriver à bon port?
Où ai-je lu que le vol au vent n’est bon que pour les ridicules?
Où ai-je lu que la vie ne se gagne que quand on perd tout?
Où ai-je lu que le manque d’essence en France met en doute son existence?
Béatrice Pédone
----------------
Où ai-je lu que l’Homme voulant d’abord protéger ce qu’il considère comme le plus précieux a d’abord inventé une coquille de protection pour ses bijoux de famille puis trois cents ans après, un casque pour la tête ?
Où ai-je lu que tant l’ivrogne va vers la barrique de vin qu’il finit par s’y noyer ?
Où ai-je lu que fille qui roule n’amasse pas mousse mais souvent  des ennuis ?
Où ai-je lu qu’à force de s’occuper de l’avoir on finit par être peu de chose ?
Où ai-je lu que qui vole un œuf a vraiment peu d’appétit ?
Où ai-je lu que qui dort cent ans en espérant qu’un prince sera assez courageux pour la réveiller par un baiser en affrontant une haleine peu fraîche est bien optimiste ?
Où ai-je lu que les nains ont le privilège de sentir la pluie les derniers ?
Yen Lerin
----------------

Où ai-je lu que si on traite tous ses collaborateurs de cons on finit par devenir le roi des cons?
Où ai-je lu que croire qu’on ne sait rien, c’est savoir qu’on ne croit en rien?
Où ai-je lu que la vie est une petite rivière tumultueuse qui se jette dans la mer?
Où ai-je lu que quelqu’un qui a autant de doigts de pied que de doigts de main ne peut être totalement mauvais?
Où ai-je lu que la lucidité c’est croire que les choses vont bien se passer et tout faire pour qu’elles se passent mal?
Où ai-je lu que certaines bouches feraient mieux de laisser la langue tourner une fois de plus avant de l’ouvrir ?
Guy Kauffmann
------------------

Où ai-je lu que des destins parallèles ne se croisent jamais
Où ai-je lu que le sage assis voit moins haut que le singe qui grimpe
Où ai-je lu qu’à vaincre sans péril, on risque moins la chute
Où ai-je lu que si le chemin est étroit, la caravane casse.
 Hélène Dhulst
-----------------

Où ai-je lu que la cravate ne fait pas l’homme ?
Où ai-je lu que regarder le soleil dans un miroir rend aussi aveugle que le regarder de face ?
Où ai-je lu qu’une flèche tirée quelque part retombe toujours quelque part ?
Où ai-je lu qu’un chien qui mord n’a pas toujours tort ?
Où ai-je lu qu’un curé aveugle est moins tenté qu’un autre ?
Où ai-je lu que les enfants n’aiment pas les sucettes à l’artichaut ?
Où ai-je lu qu’il faut toujours porter un maillot de bain avant de monter dans un ascenseur hydraulique ?
Où ai-je lu qu’un pétard mouillé éclabousse fort peu ?
Où ai-je lu qu’on ne connait pas la couleur du jus d’une orange bleue ?
Où ai-je lu que des jumelles ralentissent le temps ?
Où ai-je lu qu’une voiture amphibie nage très mal ?
Où ai-je lu qu’aller à droite de la gauche ou inversement, ce n’est pas aller tout droit et inversement aussi ?
Où ai-je lu que le miel sans abeilles est préférable aux abeilles sans miel ?
Où ai-je lu qu’ouvrir un document vierge est parfois préférable à ouvrir un document déjà utilisé ?

Frédéric BAC



vendredi 6 mai 2016

Chromathérapie- Fredric Clio-

Et j’aurai séché sur « les couleurs »,
Rendu page blanche et après l’heure,
Entre douleurs et lassitude,
Arc en ciel et négritude.

A ciel ouvert et à toute heure,
En abondance et en essence,  
Elles auraient séchées, buvard assoiffé,
Si la calligraphie était achevée.

Mais elles me prirent de l’intérieur,
Couleurs des sentiments et des manquements,
Débordantes et exigeantes,
Bâtons d’encens et bâtons d’encres.

De l’Inde à la Chine me firent voyager,
A dos d’Eléphant, apprivoisant le temps,
Couleurs épicées à chaque nouvel an.

C’est l’année du singe, me dit-il gaiement,
Ironiquement, irrémédiablement,
2016, s’il faut marquer le temps,
Ils savent tout mais ils n’ont pas raison.

Et mon île aux fleurs a eu un contretemps,
Elle a tout connu pourtant n’en dit pas long,
A fleurs de peau face à des revenants,
Et à ses habitants yolant sur le temps.

Ascendants Pharaons ou hommes mais dignement,
Peuple fracassé, Cap 110°,
Métissé d’êtres noirs, jadis enchainés,
Tribord en Diamant et horizon en Gorée.

Et c’est la Pelée qui y a remédié,
Lavée sa propre terre,
Couleurs chaudes au cratère,
1902 Qui donc se souvient d’eux ?

Et les damnés de la terre, sillonnent toujours notre ère,
Veulent un ti bol de riz et un grand bol d’air,
Sont tous verts en mer, croisières éphémères.

Par saison, connaissent plus d’un printemps.
Personnes ne les voient ni même ne les attends,
« Tout Monde » en avance, mirage vertiginant.  

C’est le singe de feu, pensais-je intérieurement,
Et l’ère du Verseau qui balance le temps,
Et moi Capricorne à sagesse Eléphant…

Une inspiration et une expiration ♫
Yoga me ramène là ! Feux d'artifices de Joie,

En Afrique berceau de l’humanité,
A rebours du Nil pour le soliste d’été,
Et sous cet oasis où nous nous sommes arrêtés,
Mes larmes seiches, lentement distillées.

Elles y sont toutes, couleurs chaudes et froides,
Transportent petits et grands, Khéops puis firmament, 
Mais la dominante, si je dois figer l’instant,

Fût ton émerveillement, ISIS yeux flamboyants !   


dimanche 20 mars 2016

Scène de ménage- Fréderic Brac

L’homme : Qu’est-ce que c’est que ce perroquet ?? Tu t’es encore fait avoir, il est empaillé !! Et…
La femme : Mais non, pas du tout ! Il parlait très bien dans la boutique.
L’homme : Laisse-moi finir ma phrase. Regarde ces yeux vitreux ! Il ne dit rien du tout ! Au moins, ce n’est pas comme toi !
La femme : Ca n’a rien à faire ici ! Tu cherches tous les prétextes pour être désagréable… En tout cas, je trouve ce perroquet plus vivant et intéressant que toi !
L’homme : Tu éludes la question ! C’est vrai que toi, tu as toujours mélangé agitation et action. Il est indiscutable que tu auras de longues discussions avec ce volatile, qui te laissera parler tout ton saôul ! Ça te permettra pour une fois d’avoir quelqu’un pour écouter ton charabia…
La femme : Ça n’a rien à voir ! Tu es lamentable, comme d’habitude et tu cherches des histoires à tout propos. Tu dois finir par comprendre que j’ai acheté ce perroquet parce qu’il est à ton image ; l’œil vitreux, le poil décati, la plume rêche…
L’homme : Tu dévies ! Et comme déviante, tu te poses là… J’ai déjà clairement établi que ton interlocuteur type était semblable au poisson rouge tournant dans son aquarium ; alors pourquoi pas un perroquet empaillé, au moins ça me changera de ta mère…
La femme : Ce dont des anecdotes qui n’apportent aucune clarification. Tu es aussi abscons que d’habitude. D’ailleurs, le « abs » est de trop.
L’homme : C’est ce qu’il peut sembler ; depuis le nombre d’années que j’essaie de me mettre à ton niveau. Il est clair que ta logorrhée superfétatoire ne peut trouver d’autres oreilles que celles de ce volatile ou de ta mère !
Tout à coup, on entend… : « Jacquot  veut un biscuit !! »

L’homme : Tiens, je crois que ta mère est arrivée…



mardi 9 février 2016

Premier amour- Véronique Masson

Cynthia, c’est son nom. Elle est belle comme la super BMW, celle que j’ai vue à la télé. Elle est brune avec des yeux, des yeux couleur des mers du Sud, des yeux qui tuent. Elle est top. Trop classe. Ses jeans déchirés, j’adore. Son tee shirt qui moule, je craque.
J’m’sens nul quand j’la vois. Sais plus quoi dire. Que rougir.
Je m’embrouille. Je bafouille.
Ceux de sa bande, ses potes, à Bougival, ils sont à l’aise. Pas timides. Dans leurs Reebok.
Moi j’ai la rage.
L’autre jour, elle fait une teuf. M’file un texto. Elle m’invite. J’y crois pas. T’as qu’à t’ramner. Chez mes vieux. Avec un pack de bière. Et des joints.
Moi, j’fume pas. Je sniffe pas. Je bois pas. Juste du coca.
J’ai hésité.
Et puis j’l’ai r’vue.
Alors, j’ai plus hésité.
J’ai acheté des boucles bleues. Comme ses yeux. Des trucs qui balancent et qui brillent.
J’ai offert mon cadeau. C’est sûr elle a flippé. Elle m’a souri. A m’faire m’envoler là-haut, plus loin que les nuages, là où c’est bleu, comme ses yeux, comme les boucles d’oreille. Elle a dit c’est mortel. Elle a dit merci.
Elle a dit à demain, à Saint-Ger, au Soubise.
Moi, j’ai compris, tu m’fais la bise.
Et j’l’ai embrassée.
J’ai fermé les yeux. C’était doux, c’était fort. J’étais comme saoul.
J’ai senti que j’devenais rouge, un peu bêta.
J’ai tremblé sur mes guibolles.
Elle a rien vu. Elle planait.
Alors j’ai r’commencé.
Et elle m’a laissé faire.
Cynthia, c’est pour toujours.

Mon premier amour.



mercredi 27 janvier 2016

J'aime le rouge - Arlette Millard

J’aime le rouge

Moi, j’aime le rouge, tu vois, les couchers de soleil sur les cartes postales que mes collègues m’envoient l’été,  de Concarneau et de Douarnenez, de la Bretagne quoi.  
Ca me fait penser aux pompons des marins ; j’aime bien les pompons, les marins aussi, et puis les hommes qui se mettent un œillet rouge à la boutonnière, ça habille, ça fait classe.
Attends, il y a plein de fruits rouges, les groseilles et les framboises, les cerises. Une fois, on est allé cueillir des cerises à la campagne avec les copains. J’en avais accroché à mes oreilles et bien, Kevin est venu les croquer et il en a profité pour m’embrasser ! J’aime bien Kevin !
Il y a aussi du rouge chez les animaux, les rouges-gorges, les poissons rouges. J’aime bien les poissons rouges,  ils ne te demandent pas de les descendre dans la rue pour leurs besoins, ils sont paisibles, ils n’aboient pas comme le chien de la voisine.
J’aime bien m’habiller en rouge mais seulement pour sortir. J’ai une super robe en satin rouge avec des paillettes sur le bord des manches, mais discrète, tu vois.  Alors je me maquille : du rouge sur les joues, du rouge à lèvres et puis j’enfile les souliers vernis assortis. Je me souviens d’une histoire que m’avait raconté un ami qui est dans les livres, celle d’ une duchesse qui met une robe de bal rouge, un peu comme la mienne, et qui oublie de changer de chaussures et le duc – le duc c’est son mari, un homme du monde – y voit ses chaussures noires, les yeux lui sortent de la tête et il te les lui fait changer vite fait ! Mon copain m’a dit le nom de l’écrivain, il parait qu’il est très connu mais je ne m’en souviens plus, je crois que c’est un homme qui aime bien tremper les madeleines dans ses tisanes. Chacun son goût !
Quand j’ai mis ma robe rouge, je vais au café ou à la brasserie. Je commande un verre de vin rouge, pas du vin qui a trainé des années dans des caves, une bouteille que  le garçon t’apporte dans un seau avec une serviette autour du goulot. Les types qui la goûtent font toutes sortes de manigances, ils tournicotent  vingt fois le vin dans leur verre, ils se penchent dessus pour le respirer comme si c’était le n° 5 de Chanel, ils finissent par en boire une petite gorgée et crois-tu qu’ils  te l’avaleraient comme tout le monde, non, ils se le gardent un bon moment avec les yeux au ciel, ils s’en gargarisent comme s’ils se lavaient les dents avec !

Moi, j’aime le gros rouge, le rouge qui tache et qui pousse au crime, bon,  Je dis ça pour rire, je ne vais pas jusque là. Un verre, deux verres, le der des der, le der de der final, sinon, bonjour les dégâts en conduisant. Ah !  Je me sens bien, je décolle, je suis « Uphorique » comme dit mon copain qui connait les histoires de duchesses, j’ai même pas vu le feu, dis-donc, ni la vitrine, mais je vois bien le gros camion rouge qui déboule de la rue à toute vitesse ! Pin pon ! Pin Pon !


mardi 24 novembre 2015

C'est déjà fini ? - Jean-Michel Brac

Au bord de la mer         
Pour un vague à l’âme
Valise à refaire
Renouée la trame

Nous cherchions l’Amour    
Mais en majuscules
Et vaincre toujours
La peur qui recule

Jamais trop tard     
Pour se refaire
Banjo, guitare
Juste un p’tit air

Nous étions heureux sans avoir compris  

On était des tigres       
Pas des escargots
Oui quand le cœur vibre
On oublie la faux

Poèmes de chair         
Le rire sous l’écorce
Eloignées les guerres
Joli tour de force

Jamais trop tard     
Pour se refaire
Bando, fanfare
Juste un p’tit air

Nous étions heureux, rien n’était fini  

Conjuguer nos nuits      
Sans chercher l’enfer
L’appart à Paris
Dans une rue Voltaire

Bien loin la banlieue          
Dévoré Paris
Au fond de tes yeux
C’est beau l’infini

Odeur café       
Goût de framboise
Larmes salées
Destins se croisent

Nous étions heureux, goût de paradis  

          ***

Aveugle espoir        
Ecrit en braille
Dernier miroir
Dernière bataille

La vie fait du troc         
Le diable est méchant
Un concert de rock
Dans un Bataclan


C’est déjà fini ?


mercredi 28 octobre 2015

Une rencontre amoureuse (à la manière de Marguerite Duras dans l’Amant) -Guy Kauffmann.

Le loup noir est descendu de la colline, il fume une cigarette anglaise. Il regarde la jeune chèvre qui s’abreuve au ruisseau dans sa robe blanche. Il vient vers elle lentement. C’est visible, il est intimidé. Il ne sourit pas tout d’abord. Il lui offre une cigarette. Sa patte tremble. Il y a cette différence de race. Il n’est pas blanc, il doit la surmonter, il doit surmonter son envie, c’est pourquoi il tremble. Elle lui dit qu’elle ne doit pas parler à des étrangers. Elle ne dit rien d’autre. Elle prend brusquement la cigarette qu’il lui tend. Alors il a encore un peu plus faim. Alors il lui dit qu’il croit rêver. Elle ne répond pas. Elle ne bouge pas. Que répondrait-elle ? Pourquoi bougerait-elle ?
Il lui dit que c’est tout à fait extraordinaire de la voir au bord du ruisseau, si tôt le matin, une jeune chèvre, belle comme elle est, vous ne vous rendez pas compte, c’est très inattendu, une jeune chèvre blanche au bord de la forêt. Il lui dit que sa petite clochette en cuivre tintinnabulante lui va si bien, même si il se demande à quoi elle sert. Elle tire une longue bouffée de sa cigarette. Elle regarde ses longs poils noirs. Elle lui dit que cela ne sert à rien, cette clochette en cuivre, vraiment à rien. Elle lui demande qui il est. Elle regarde ses grandes oreilles noires.



dimanche 11 octobre 2015

Requiem pour un atelier- Marc Lequenne

                             Requiem pour un atelier

(sur un air de Blues)

 Certains disent que l’atelier est une secte écrivante, cabalante, intrigante et pratiquante mais qui ne croit pas.  Son gourou,  Ils le voient comme un blagueur-bloggeur à moitié chauve qui porte au cou une longue chaîne en or où se balancent gaiement une croix, une relique de Chateaubriand  ou un portrait de Benjamin Constant.
D’aucunes disent que l’atelier se rassure en s’embrassant, en s’accolant, en se donnant des tapes et des baisers, en se rappelant le plus souvent possible et à grand bruit tout un tas d’aventures sinon vécues du moins écrites ensemble.
Ses critiques disent que l’atelier (ses membres) écrit frauduleusement, qu’il fait des efforts pour apprendre et pour bien travailler alors qu’il n’ouvre pas souvent un livre.
Ses détracteurs disent que l’atelier avale l’hostie sans prendre le temps qu’il faut pour la mâcher.
Ses  railleurs/rieurs  disent que la table sur laquelle il écrit masque à l’atelier la terre, la mer tous les paysages et toutes les scènes du monde.
D’autres encore font remarquer qu’une vie d’écrivain est déjà suffisamment décevante, alors qu’on y consacre toutes ses forces, pour ne pas rire de ces écrivaillons borgnes qui ensemencent inutilement des champs où mûriront tant d’autres fruits que ceux qu’ils auront cru planter. 
Beaucoup affirment que l’atelier est là pour rassurer tous les écrivains sans courage. Qu’il sert à consoler les femmelettes hystériques qui ont peur de l’orgasme d’écriture. On ne peut pas se perdre dans un atelier, disent-ils, puisque, toutes les trois heures, la marée se renverse pour vous ramener. 
Les déçus de l’atelier aiment rappeler que Louis Aragon clamait : « Je n’ai jamais appris à écrire » tandis que Gustave Flaubert avait déjà tranché : « Un bon vers n’a pas d’école. »


Et vous, vous êtes d’accord : faut-il enterrer les ateliers d’écriture ?

Marc Lequenne 


La sans-logis : Arlette Millard

La sans-logis

Je suis la misérable, menteuse et effrontée,
Car je me dis princesse et suis fille de rien
Et sur mon front pouilleux j’ai posé des lauriers
Qui sont pleins de poussière et qui sentent le vin.

Car je bois sous les ponts, je bois dans les allées
Du parc où je m’endors, je n’ai pas de maison,
Mais c’est dans un grand lit de soie que j’ai rêvé
D’un verre d’eau de source où nagent des glaçons.

Hélas, tous les matins je m’envoie un litron,
C’est le seul élixir qui me donne l’extase,
Je m’avance et soulève le bas de mon jupon
Comme le fait une reine quand son amant la croise.

Arlette Millard

D'après.....


El Desdichado

Je suis le Ténébreux, - le Veuf, - l'Inconsolé,
Le Prince d'Aquitaine à la Tour abolie :
Ma seule Étoile est morte, - et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.

Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m'as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s'allie.

Suis-je Amour ou Phoebus ?... Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ;
J'ai rêvé dans la Grotte où nage la Sirène...

Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.


mardi 7 juillet 2015

CANDIDA


Une œuvre des ateliers d’écriture
animés par Marc Lequenne

Année 2014-2015

Édition juin 2015


___________________________________________

Préface

A une époque - la nôtre -  où prospère l’hydre fanatique et intégriste, il n’est pas surprenant que Voltaire, le chantre de la tolérance, soit revenu « à la mode ». Dans son célèbre conte : « Candide », il attaquait la doctrine optimiste de Leibniz et proposait aux hommes l’art et la manière de s’accommoder de la vie, malgré ses aléas et  ses malheurs.
Certes l’humanité est gouvernée par la sottise, le fanatisme et le vice. Au gré des pages de « Candide » défilent méchants, voleurs, soldats brutaux, femmes débauchées ou victimes, maints tableaux dans lesquels le fort vit aux dépens du faible et le « tordu » à ceux du naïf.
Pourtant Voltaire ne sombre jamais dans le désespoir et la conclusion du conte enferme une leçon de sagesse. Candide va consulter un vieux turc qui lui enseigne les voix du contentement et de la paix du cœur : « Il faut cultiver notre jardin ». Telle est la dernière phrase que prononce Candide.
C’est ce qu’ont bien compris les auteurs de notre série Candida qui, au fil des épisodes et chacun au gré de sa fantaisie, fait vivre la fille de Candide dans des aventures contemporaines. À l’instar de son aïeul, notre Candida a compris que « tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes », que l’humour est le souverain remède, qu’il est vain de se livrer à de vaines spéculations. « Tout branle », comme le disait Montaigne. Dès lors, il suffit, chacun selon notre compétence, de nous consacrer à notre tâche d’homme et de femme et de vivre son aventure personnelle.
Onze participants des ateliers d’écriture ont joyeusement conçu les avatars de Candide.  Qu’ils en soient remerciés et place à cette jeune fille au regard malicieux, enjoué et lucide sur notre époque : CANDIDA

Marc Lequenne


PS : Un grand merci à Isabelle, Claude-Annie et Flore qui, en sages-femmes avisées, ont permis l’accouchement réussi de Candida.

Genèse du projet (FHD)

En ces années de recours au Traité de la Tolérance de Voltaire, nous avons relu, pour la bonne humeur de nos vies, avec notre maître en écriture, Marc Lequenne, Candide.
Alors, un projet naquit : il serait fort bénéfique de créer une Candida moderne à l’image du personnage du 18e siècle. Elle aurait des caractéristiques semblables et vivrait toutes sortes d’aventures. Une dizaine d’écrivains en herbe se prit au jeu et un trio eut à cœur de mettre l’ensemble en forme, en le relisant et en le peaufinant et, surtout, en essayant de garder l’esprit voltairien.
Voici l’aboutissement de ce projet qui est aussi une des participations de notre atelier d’écriture aux 30 ans de La Clef.
En espérant qu’il vous réjouira.

Le trio : Claude-Annie, Flore et Isad
Sommaire



Liste des auteurs



  • Arlette (AM)
  • Claude-Annie (CAD)
  • Flore (FHD)
  • Francine (FL)
  • Hélène (HS)
  • Isad (IP)
  • Jérôme (JV)
  • Maud (MD)
  • Michel (MM)
  • Sabina (SS)
  • Yen (YPL)


 

1. Comment Candida apprit que ses parents ne l’étaient pas tout à fait (FHD et IP)

Dans la 1ère décennie du XXIe siècle, dans l’ouest de Parici, balayée par les vents atlantiques, une belle forêt respirait et jouxtait la ville de Sangerlie où vivait la famille Bécébéger. Le père Richard, la mère Béatrice et 2 filles.
Que faisaient-ils quand les sangliers labouraient la forêt ? Ils dormaient, pardi ! Et quand les trains étaient supposés respecter la cadence ? Richard avait sa propre officine et conseillait des malades et des hypocondriaques toute la journée et leur vendait force médicaments, liniments, onguents, excitants, calmants, dissolvants, réconfortants, etc. Quant à Béatrice, elle enseignait les sciences au quotidien à des collégiens qui la traitaient comme un chien mais avec des moyens draconiens, elle assura son maintien tant que son pharmacien de mari et le collège-lycée lui assurait leur soutien.
Au demeurant, c’était un établissement bien côté pour ses résultats au bac et donc bien fréquenté par des familles BCBG et plutôt friquées dont par discrétion ou laïcité, on nous prie de taire le nom, un saint patron étant évoqué ou invoqué.
Les filles Bécébéger fréquentaient cet établissement. L’aînée, une jeune fille d’apparence tout à fait banale et éprise, comme tous les néophytes de la vie, de justice et de bons sentiments. Taille moyenne, cheveux châtains, jeans « slim » et T-shirt juste au raz du nombril, rien ne la distinguait de ses congénères. Si. Peut-être ses yeux. Ils divergeaient quand elle était aux prises avec une décision difficile. Mais qu’avait-elle de plus à décider que d’apprendre ses leçons de classe de seconde aujourd’hui ou plus tard, porter sa montre blanche ou la bleue. Elle croyait tout ce qu’on lui disait, c’est pourquoi elle se prénommait Candida. Elle aimait la musique, le chant, les fringues, les pizzas, les garçons de sa classe dont Sébastien, le fils du gardien de leur résidence, bien que ses parents fussent réticents à leur fréquentation. Cette ado du haut de ses 16 ans avait déjà ses 32 dents et mordait la vie. Elle avait aussi un budget pour les cosmétiques, les films comiques, les périodiques, le matériel informatique et téléphonique, elle était donc pudique et très peu pratique.
Tout était tranquille dans cette famille. En fait, le trublion, c’était sa sœur, Suzie, la blondinette de 11 mois plus jeune qui s’essoufflait à poursuivre ses études, c’est pourquoi elle avait un coach attitré en la personne de Tom, jeune étudiant qui préparait une maîtrise en neuro-psychologie potentielle que les parents avaient croisé dans l’escalier de leur immeuble, vu qu’il y habitait dans une petite chambre à velux. Tom Bernitz avait étudié plusieurs langues plus ou moins rares (de bois, de vipère) et la philosophie d’un célèbre penseur allemand du 18e siècle dont il avait adopté le leitmotiv : « La vie est belle » qu’il répétait au long des jours. La famille Bécébéger était d’ailleurs certaine, qu’habitant la résidence « Les Optimales » cela allait de soi. Candida demandait souvent conseil à Tom – malgré les regards rageurs de sa sœur qui le voulait pour elle seule – et avait fait sien son leitmotiv. La suite épisodique de ce qu’il lui advint le démentira-t-il ?
Un soir où Candida ânonnait les règles d’accord des participes passés, sa sœur déboula dans sa chambre sans crier gare. Tu ne me crois pas ? Regarde. J’ai des preuves ! Elle agitait ses boucles blondes acérées et des papiers, la frimousse satisfaite. Tu n’es pas ma sœur ! cria-t-elle en jetant des papiers sur le bureau.
Candida haussa les épaules. Combien de temps restera-t-elle aussi placide ?

2. Comment Sébastien et Tom apprirent le secret de Candida (CAD)

Depuis la révélation de sa sœur Suzie, Candida était devenue une autre personne. En fait, elle réalisait qu'elle ne s'appelait pas du tout Bécébéger. Elle n'était ni la fille de Béatrice et Richard Bécébéger, ni la sœur de Suzie. Elle était une autre personne, un ovni, un fantôme qui n'existait pas ! Cette impression de vide était particulièrement désagréable et Candida en était très affectée. Quelle histoire incroyable ! Avoir vécu seize années en pensant être ce que l'on n'est pas ! Elle ne pouvait garder ce secret pour elle seule. Elle s'empressa d'en avertir Sébastien. Elle chercha également à joindre Tom qui pourrait la conseiller, mais il suivait un cours à l'université de Parici XXXII.
Dès qu’il apprit la nouvelle, Sébastien lui dit : « Oui je comprends, tu as envie de les mordre, de les boxer, de leur aboyer dessus, mais tu dois rester calme. Tes parents sont sans doute fautifs de t’avoir caché la vérité sur ta naissance. Ils t'aiment trop et peut-être n'ont-t-ils pas su te parler franchement. Plus ils ont retardé le moment de te révéler la vérité, plus ils ont eu peur de te faire souffrir. »
« C'est possible - répondit Candida - mais on m'a menti depuis si longtemps. Mes parents, mes grands-parents, toute la famille était au courant sauf moi, c’est nul ! Je me sens très mal dans ma peau et ne sais comment réagir. En t'attendant, j'ai surfé sur le net et ai trouvé des dizaines de forum sur le sujet je viens d'apprendre que j'avais été adopté. Eh bien, j'ai pu constater qu'il y avait des centaines de témoignages de jeunes dans mon cas. Certains dépriment grave. Certains mettent les voiles, la rage au cœur. D'autres font des TS. D'autres - les moins nombreux - s'en moquent. Quant à moi, je n'ai jamais connu une situation aussi reloue. »
Tom, revenu de son université, fut lui aussi mis dans la confidence. Il trouva Candida fort agitée. « Calmos, muchacha ! Écoute, c’est une affaire très particulière et fort intéressante sur le plan affectif, dit-il doctement. J'ai suivi des cours sur ce sujet. Tes parents t'aiment tellement qu'ils sont incapables de t'avouer qu'ils ne sont pas tes parents biologiques. Ils t'ont acceptée comme leur fille et pour eux, c'était impossible de te dire la vérité. Il ne faut pas leur en vouloir. Tu dois discuter avec eux et cela renforcera vos liens. Candida, tu as une merveilleuse famille et ta vie est belle ». Candida remercia ses deux amis pour ces conseils apaisants et reprit sa vie de lycéenne comme si de rien n’était.

3. De la méthode expérimentale appliquée à Candida (FL)

L’on était alors tout entiché de psychologisme, sociologisme, déterminisme, tautologismes, d’obédiences tant diverses qu’innombrables.
Cela FAISAIT SENS.
Il fallait SENSIBILISER la jeunesse, l’ouvrir au vertigineux champ du monde mental, l’instruire des humeurs, dérives, poussées, pulsions de l’étrange mécanique humaine. Bref, il fallait étudier le système nerveux pour le stimuler.
C’était un commencement.
L’université recommandant hautement la pratique expérimentale, Candida se retrouva avec sa classe de 2nd 4 confrontée sur la paillasse à un bizarre petit homoncule gris à longs membres élastiques. C’est sa camarade, Aphrodite, qui entreprit avec une délectation singulière d’inciser, ouvrir, épeaucer distendre, éviscérer, écarteler, fixer….le petit être musculeux, écorché en même temps que ses congénères plus chanceux coassaient voluptueusement dans l’aquarium du labo.
Candida prit le relais. Il fallait, d’un scalpel précis, exercer le STIMULI, indiqué par Sulfamide, le docte maître ès sciences de la Vie et de la Terre (!) à voix de contrebasse.
Chacun écouta avec approbation.
On stimula.
Ce furent alors tressautements, vibrations, spasmes, trépidations, secousses, horrifiques convulsions. Candida avait vu bien des choses à la télé. Mais, là, tétanisée, elle sentit un tsunami nauséeux la submerger puis s’évanouit dans un grand fracas de tabourets brisés. Ce fut l’émoi. Après le système nerveux de la grenouille, il fallait urgemment examiner celui de cette andouille. Aphrodite s’y employa avec énergie : une belle baffe mouillée ressuscita notre sensible sensibilisée qu’on emmena respirer dans le couloir.
Sur ce, Sulfamide conclut sobrement de l’efficacité de la méthode de stimuli.
C’est ainsi que Aphrodite vit s’ouvrir devant elle un avenir prometteur dans le domaine des sciences de la physiologie tant animale qu’humaine répétant le refrain de son amie que, après tout, la vie était belle dans le meilleur des mondes expérimentaux.

4. Quand Candida chanteuse s’envola vers la notoriété

Derrière le rideau sombre de la scène, Candida et ses musiciens se tiennent la main, le cœur battant. C’est leur première scène.
Ils tentent le bœuf du jeudi soir dans « l’asso » comme ils disent à Sangerlie, c’est-à-dire la Serrure. Et là derrière le rideau ils entendent leur nom Acédie…c’est à vous.
Ils pénètrent dans la lumière, pour s’ouvrir au monde de la reconnaissance de cette musique qu’ils ont dans les tripes comme beaucoup de jeunes de 16 ans.
Avant, Candida cachait ce don ne supportant pas son propre frisson dans le déroulé des vocalises. Puis dans sa classe, elle s’était retrouvée à vivre l’expérience de monter ce groupe. Tout au bonheur d’être portée par cet élan d’y croire. Jusqu’à ce premier soir à la Serrure.
Dans sa fraîcheur, Candida, sort de la dissonance de l’enfance pour poser sa propre mélodie. En elle-même elle se dit :
– Oui …
– Oui, au partage de sa voix de cristal.
– Oui, à se montrer dans sa fragilité … et sa force.
– Oui, à chanter ses propres textes ambitieux, savoureux, sulfureux.
– Oui, à braver tous les regards, tous les égards, tous les hagards.
Enfin, elle se dit oui à elle-même.
Le micro en main elle se lance dans l’harmonie des notes. Les yeux clos. Éblouie par les spots, elle regarde défiler sous ses paupières les notes sur les portées l’emporter. Elle lance au ciel les mots mêlés, de son sang et de sons. Le ton monte. Sa voix la vrille, la trille, la vibre.
Dans le grand silence suivi d’un flot d’applaudissements, elle ouvre les yeux, toujours sans sourire, dans la surprise. Enfin, elle est reconnue dans sa part intérieure qui se dévoile dans ses vocalises funambules.
Un homme dès sa sortie de scène « l’alpague » avec son accent du sud, lui propose samedi de faire sa première partie dans la même asso. Mais cette fois c’est sur la grande scène du bas. Elle le regarde abasourdie. L’entend à peine, car lui, là, ce type, petit chapeau « style », vissé sur le crâne, elle l’a dans son MP3, elle l’a dans sa « zik », elle l’a dans ses poils qui se dressent sur les bras quand il roule suave le temps de la musique de ses oreilles à sa peau. Elle est fan, c’est son idole.
Elle lui dit oui. Son pouls explose.
Le samedi arrive.
Il est là dans le backstage.
Elle aussi, elle le dévore des yeux, le regard baissé.
Il s’approche. En chantonnant au plus près, il lui donne un sourire glissant jusqu’à l’indicible.
Il rit devant son trouble et d’une tape sur les fesses la propulse sur la scène. Dynamisée … dynamitée, elle se donne au public. Sa voix skate de l’aigu roulé au grave du rauque.
Elle fait le show dans sa robe légère de coquelicot épanoui.
Elle se dévoile. La salle en demande encore et encore.
Bien plus tard au creux de la nuit l’artiste en titre entre dans sa loge, car il a décidé qu’elle lui céderait là ce soir … Elle ne doit sa résistance qu’à sa candeur.
Elle ne veut parler que de musique, d’octave, de puissance, de pianissimo…
Il en reste interdit et s’en va en claquant la porte. La laissant étonnée soudain la gorge toute fermée.
Pourtant, ce soir-là, l’étincelle de joie et de voix qu’elle est, a été repérée. Les magazines spécialisés en parlent, sous les flashs, elle fait la une de certaines émissions télé.
La voilà d’un coup sous le grand projecteur de la vitesse lumière, qui la danse, la propulse jusqu’à devenir en quelques semaines la première partie de la grande scène du méga festival de musique de Parici « les polidays ». Ces jours et ses nuits là, sans plus aucune minute pour elle, elle a chanté, répété, couru avec pourtant un grain de sable sur la peau, celui de sa distance, ce fameux soir-là, à son idole.
Elle est restée droite. Comme toujours debout derrière la porte qu’il a claquée … son innocence plein les bras. C’est grâce à lui qu’elle est là, où lui n’est pas, ce soir devant cette foule.
Elle est une artiste. Elle se racle la gorge, c’est sa grande première. Cette première en ouvre une autre. Comme dans ses écrits, elle imagine l’unique grand amour … « un inguérissable attrait de la soif et de l’eau ».
En contre-jour derrière le rideau, le micro en main serré d’une poigne de femme, dans sa robe légère de coquelicot défleuri ; le regard dans la buée des yeux du public ; elle se lance sur scène propulsée dans le sanglot de la foudre…
… la foudre de la petite claque sur les fesses la faisant virevolter sur la lumière des projecteurs.



5. En quelles circonstances Candida reçu une aide… intéressée (IP)


Candida avait gagné le concours des espoirs de la chanson de Sangerlie. Sébastien ruminait dans sa chambre. Douces et sombres pensées mêlées. Il était content pour elle bien sûr mais ne trouvait pas cette nouvelle situation confortable. La teneur de ses cogitations était, à peu près, la suivante :
Ah ma Candida ! Ton sourcil gauche. Ton accent circonflexe coquin que les épilations savantes n’arrivent même pas à rectifier. Ce charme rebelle à l’harmonie. Il donne une coloration perpétuellement étonnée à ton regard. Ils ont voulu le gommer, supprimer ta singularité piquante au maquillage. Ils n'y sont pas arrivés. Sous les spots, je distinguais toujours ton air de ne pas y croire. Tu ne le montrais pas avec ton visage fardé en plaqué sourire. Tu te demandais pourtant ce que tu faisais là, à susurrer des mots qui ne te ressemblent pas.
Le public ne savait pas décoder ce que signifie ce léger écarquillement de tes yeux qui se termine par un imperceptible plissement de ta peau et se divise en fines ridules. Tu as décelé le décalage et en a été troublée, agacée. Tu as conscience qu’ils ont essayé de te façonner, de domestiquer ton esprit rebelle, de te faire poupée passe-partout. Tu t'es laissée faire. Candi, oh ma Candida. Reviens-moi. Comme avant. Oublie les lumières qui t'éblouissent et te vont si mal. Reconnais-toi. Candi, oh ma Candida. Comment puis-je t’aider ?
Inspiré, Sébastien se mit alors à l’ouvrage.
Deux jours plus tard, il l’invita dans la loge après les cours. [Ici, rappelle-toi, lecteur, que la mère de Sébastien est la gardienne de l’immeuble.]
Ma Candi, mon sucre tout doux, tout roux. Mon caramel à moi. Ma mélasse, mon collant jamais assez poisseux. Mon chewing-gum. Ma bulle qui claque. Mon machouillis auquel je trouve toujours du goût. Ma glu adorée. Ma colle qui sèche trop vite et se sépare de moi tout le temps. Ah ma Candi. Tu rêves de lumière et de gloire. Mon cœur s’est serré quand j'ai vu ce salaud de producteur te taper sur les fesses. Mon adorée et trouble mélange, je ne veux plus qu'une telle chose se reproduise. Je serai ton paravent, ton trampoline, ton impresario ma Candi. Mon sucre d'orge, je ne te laisserai plus les affronter seule ce monde glauque qui veut faire de l'argent sur ton innocence. Candi, puisque tu aimes la scène, j'ai composé pour toi une chanson.
Sébastien mit un fond musical et se mit à fredonner. Bouche bée, Candida écoutait son copain.
Candida ah ah ah ah
Candida ah ah ah ah
Candida ah ah ah ah
Tu vis à Sangerlie
Dans une famille sans tracas
Pas du tout de soucis
Candida ah ah ah ah
Candida ah ah ah ah
Et voilà qu’à 16 ans
Ta vie se remplit
d’un tas d’événements
Et tes lèvres sourient
Candida ah ah ah ah
Candida ah ah ah ah
Les questions foisonnent
Doucement tu frissonnes
Tu lis dans les nuages
Et au Japon tu voyages
Candida ah ah ah ah
Candida ah ah ah ah
Les rêves parfument
La boue à tes pieds
Tes yeux s’allument
De mots par milliers
Candida ah ah ah ah
Candida ah ah ah ah.
Candida s’approcha doucement de Sébastien et lui déposa un rapide baiser sur la joue gauche. Super, Seb. Je connais l’air. Ma mère passait ce vieux CD quand j’étais petite. Il me dit vaguement quelque chose. Les paroles sont gentilles. Mais le monde du spectacle, c’est terminé pour moi. Il faut se coucher trop tard. J'ai besoin de dormir. Ce n'est pas vraiment compatible avec les études, même s'ils m'ont vaguement dit que je pourrai prendre des cours par correspondance. Et je ne veux pas être jetée au bout de deux ou trois ans quand le public et les médias se seront lassés de m'entendre. J'ai dit non à la tournée sur les plages cet été. Allez, on a des exercices de math à terminer. Comme dirait Tom : « La vie est belle ».
Voilà comment se termina la brève apparition de Candida dans le monde de la chanson, et la tentative de Sébastien pour l’épauler.

6. Candida à la recherche d’un gourou (FHD)

Il est bien gentil Sébastien de me susurrer des mots doux, se disait Candida en se limant les ongles, mais sa chansonnette ne vaut pas un clou et puis je fais ce que je veux, non mais ! 
À vrai dire, après les spots dans les yeux, les rythmes tonitruants, elle se sentait complètement abasourdie, les applaudissements l’avaient grisée et sans vouloir l’avouer, surtout pas à Sébastien qui s’était moqué d’elle, elle cherchait sa voie. La révélation de Suzie lui faisait échafauder des scenarii : suis-je orpheline ? Si oui, qu’est-il arrivé à mes parents ? Ont-ils eu un accident ? Sont-ils morts ? Ai-je une mère bio ? Comment ai-je été conçue ? In vitro ? Si mes vrais parents sont vivants, où sont-ils ? Pourquoi m’ont-ils abandonnée ? … Une kyrielle de questions la torturait.
Elle se sentait seule en arpentant les rues de Sangerlie après avoir, encore une fois, séché ses cours et ses larmes. Comment allait-elle justifier cette nouvelle absence ? Si le proviseur me demande un mot d’excuse, je dirai que je l’ai perdu. C’est moi qui suis perdue, perdue sans parents. Elle releva le nez qu’elle avait sur ses baskets comme le moral dans ses chaussettes. À cet instant de désespérance absolue, sur un panneau d’affichage, elle lut :
« Gourou KIVOITOU, voyant, medium, résout TOUT CAS DESESPERE : AMOUR AFFECTIF, DIVORCE EN FORCE, PROBLEMES FAMILIAUX, CHANCE AU CASINO, RETROUVAILLES RAPIDES, REUSSITE EXAMEN ».
Elle décida de lui téléphoner sur le champ. La voix était posée et lui fixa rendez-vous pour le soir même.
C’était dans une petite rue, près du boulevard Mégalobol, dans un quartier paricien exotique, coloré et avec une animation à laquelle Candida n’était pas habituée, elle grimpa les 7 étages, le cœur à la chamade, pas de sonnette, elle frappa, entendit une langue inconnue et un grand vieillard noir enturbanné la pria de s’asseoir sur un pouf en cuir. La pièce était faiblement éclairée mais les yeux du gourou, lumineux d’intelligence, de sagesse et de perspicacité rassurèrent la jeune fille. « Qu’est-ce qui vous tourmente ma-de-moi-selle ? Elle lui confia le mystère non élucidé de sa naissance. Je comprends que c’est un grand problème pour vous mais - il clignait des yeux cherchant dans un au-delà les justes paroles - il y a une personne de votre entourage qui vous donnera une piste très prochainement, ce sera loin de chez vous. A-pprê-tez-vous à partir au-delà des mers. C’est tout ce que peux vous dire ce soir. » Il se leva, la pria de mettre l’équivalent d’un billet vert dans une moitié de calebasse et ce fut tout. Glup ! C’était tout l’argent de poche mensuel de Candida ! Tant pis se dit-elle, rassérénée, adieu pots et ciné avec les copains, fraises Tigidi et vernis à ongles.
Elle était si heureuse de cet oracle, en redescendant les étages qu’elle faillit rater une marche. Elle se rattrapa à la main courante et sortit en courant vers la station de train en se murmurant que la vie était belle. Je vais voyager où ?



7. Comment Candida s’initia aux effets de l’occultisme (FL)

Le lendemain, tout juste remise de cette étrange – quoique boostante – expérience, Candida plutôt que de rentrer, se proposa de passer à la pharmacie soumettre son cas au sage jugement de son père.
Il était encore tôt aussi se retrouva-t-elle dans la réserve à bavarder en tête à tête avec Nafy – la femme de ménage – en attendant l’ouverture. Cette martiniquaise, toujours généreuse, l’accueillit avec exubérance et lui confia qu’elle guettait depuis longtemps ce moment de confidence. Ma Cand’, ma tout’ belle, tou as le Don, tou l’as … Je te le dis, le Don, celui de la DIVINÂÂTION ! Ce que ta mè’ appelle ta coquett’ie, et ton pè’ ton st’ouabisme ??? … mais c’est ton t’oisième œil ! Celui qui voâ ce que les aut’ ne voâent pas ... ils ne voâent ‘ien. Mais toi, viens, donne-moi ta main… Oh! Oh ! exulta Candida elle me dit la même chose que mon gourou.
Elle fila au lycée, où elle exerça derechef son bel art tout neuf de la chiromancie divinatoire auprès de Carmela, Cérès, Antonia et Aphrodite… Et puis vinrent la consulter Léon, Archibald et presque tous les garçons de la classe. Dans la semaine, TWEET, SMS, FACEBOOK, RESEAUX SOCIAUX… firent tant et tant que la rumeur gonfla, enfla, explosa pour s’étendre d’abord à tout le lycée, puis à la ville et bien davantage. Même le pragmatique Sulfamide jugea bon d’évoquer en classe le grand mystère de l’inconnu, des ailleurs, de la para-normalité, de l’occultisme, des ondes télépathiques et des insoupçonnés potentiels cérébraux...sans doute immenses. Aphrodite en était toute chose. Elle se mit à considérer Candida d’un œil neuf, presque respectueux.
Candida s’amusait ferme : ligne de cœur, ligne de vie, ligne de chance. Elle les décryptait, brodait, supputait avec une aisance de vieille professionnelle de la boule de cristal. Un talent qui lui valait même la curiosité un peu gênée de certains professeurs : monsieur Muscle, le prof de gym lui soumit sa gauche en riant jaunâtre, les copines en bégayaient de jalousie.
Cand-oracle, Cand-voyante, Cand-extralucide.
On la prenait au sérieux.
Sa mère la mit en garde sur les regrettables effets de cette prenante activité sur ses notes de math. Pour y remédier, Candida – toujours positive – jura de consacrer son prochain week-end dans le petit manoir familial, en Normandie, à de studieuses révisions.
Mais au retour, après les ralentissements de l’autoroute, quelle ne fut pas la fureur de son père de découvrir d’énormes embouteillages au Vel Air. Rue du Tampon c’était l’émeute. Une foule démesurée de jeunes dévots attendaient leur devineresse. C’était un enchevêtrement de mobs, voitures, vélos. Un vrai déferlement de fans. Il y avait des canettes, des joints, de la musique, beaucoup trop de bruit pour le voisinage inquiet …La police intervint. Candida et ses parents extrêmement embarrassés prirent la tangente pour se réfugier à la pharmacie et faire le point. On laisserait faire la maréchaussée et on ferait profil (Facebook) bas.
Et la vie continuerait d’être belle dans le meilleur des mondes connectés à l’au-delà des jeux de mains.

8. Pourquoi Candida réitéra ses rendez-vous chez Mme Surmoi (CAD)

Trop, c’est trop ! Candida avait subi ces dernières semaines de multiples événements qui avaient perturbé sa vie tranquille de lycéenne. Apprendre à seize ans que vos parents vous ont adoptée puis quelques jours plus tard entamer une carrière de chanteuse immédiatement reconnue dans de nombreux médias, découvrir ses dons de divination, son succès, ses fans sur l’internet, cela peut perturber une jeune fille sensible. Fièrement, Candida avait pris sur elle de tout accepter sans rien dire.
La révélation du secret de sa naissance, contrairement à ce qu’elle avait  affirmé à ses amis Sébastien et Tom, l’avait profondément troublée. Pendant quelques semaines, ce choc psychologique avait été en partie amorti par ses nombreuses prestations de chanteuse, en particulier sa tournée avec un artiste de renom. Elle avait à toute allure mordu la vie à pleines dents mais en avait une contre ses parents et elle était déçue de son expérience d’artiste. Tout se brouillait dans sa tête. Confinée à la maison après ses cours au lieu d’aller au café avec ses camarades, elle broyait du noir. Elle ne dormait plus, pleurait souvent, ne pouvait être zen. Ses parents le voyaient bien qui se sentaient coupables de son mal-être. Son père Richard qui, en tant que pharmacien, connaissait quasiment tous les professionnels de santé de la ville de Sangerlie lui recommanda de prendre rendez-vous avec Sabine Surmoi, une psychothérapeute.
La première séance se passa pour le mieux. Madame Surmoi lui expliqua les causes de ses tourments. Elle devint son mentor et persuada Candida de revenir. Plusieurs rendez-vous suivirent. Candida peu à peu se sentit plus sûre d'elle-même. Bien entendu, elle savait que ses blessures ne se refermeraient pas de sitôt. La meilleure thérapie pour elle fut de se lancer à fond dans ses études délaissées. Sa moyenne avait tant chuté ces dernières semaines que ses professeurs envisageaient un redoublement. Redoubler lorsque sa mère est prof dans le même établissement….Elle ne voulait pas se payer la honte !
Candida fit une nouvelle fois appel à son cher Sébastien pour les maths. Chaque soir et chaque week-end, elle demanda à sa mère de l'aider pour le français, les langues et les sciences. C'est ainsi que ses résultats scolaires s'améliorèrent et ses parents eurent la bonne surprise en lisant son carnet de notes d'apprendre qu'elle se situait désormais dans le peloton de tête de sa classe ! Elle ne pédalait plus dans le yaourt !

9. Comment Candida passa en boucle sur Planet TV (JV)

Candida, ce matin-là, se promenait joyeusement dans Parici, allant de A à B et de B à C, l’espace entre ces lieux étant ponctué de haltes dans les échoppes qui proposaient de jolies robes à prix réduits ; on était en janvier et à pareille période, tout objet vendu 100 pendant 11 mois est alors vendu 50, puis 30, sans que l’objet en question ne fut pour autant fabriqué dans un pays encore plus pauvre qu’auparavant ! Amusant, non ?
Comme sa  « mère » lui avait demandé de lui acheter un pot de Promesse de fermeté de chez Croizi, Candida, en fit l'acquisition dès son entrée dans le grand bazar portant nom de Galeries et reçut un bon de réduction pour une séance dans un salon d'esthétique. Une grande heure plus tard, toute chargée de sacs colorés, elle aperçut sur le sol près de l’entrée Sud une babouche abandonnée et en fut étonnée. Ah mais quel désordre, pensa-t-elle, les gens sont d'une négligence ! Elle fit signe à l'homme de sécurité en faction, juste à côté, un grand et large citoyen Ivoirien, blazer bleu et talkie-walkie en ordre de marche, lequel appliqua avec zèle les consignes : objet babouche louche abandonné non identifié, rez-de-chaussée, Porte Sud, près du rayon Fanfreluches dit-il. Son supérieur, tout aussi zélé donna l'alerte à toutes les équipes et appela le Commissariat le plus proche ; un inspecteur stagiaire, encore mal réveillé, passa le message à son chef : « On a un objet suspect louche aux Galeries, une babouche fanfreluche ou quelque chose de ce genre » Il lui fut répondu : Quoi ? Colis suspect louche, origine orientale avérée, demandez l’évacuation du magasin !
Quatre minutes plus tard, la panique régnait aux Galeries, les hommes à large cou et blazer bleu tendant d’endiguer le flot des  clients se ruant vers les sorties, suite à l’annonce faite dans les hauts parleurs : « Babouche suspecte piégée à la fanfreluche louche identifiée, merci à tous d’évacuer le magasin ». En plus, un enfant avait, par curiosité, à ce moment précis, ouvert la boîte contenant un défibrillateur et une puissante alarme s’était déclenchée. Puis, tout le monde ou presque s’était mis à crier. Pourquoi crier me direz-vous ? Je ne sais pas vous répondrai-je.
Candida, quant à elle, avait réagi à cette vague d’adrénaline en se cachant dans une cabine d’essayage, pensant qu’il s’agissait d’un hold-up. Elle tira le rideau, monta sur un petit tabouret et se figea, dissimulée en cet endroit désormais déserté. Quelques minutes plus tard, un silence de plomb s’abattit dans le magasin, vidé de toute présence humaine et verrouillé de l’extérieur. La jeune fille, surprise du calme inhabituel, commença à douter de la véracité de la maxime de Tom. La vie était-elle belle ? Y avait-il un danger réel ?
Les Galeries furent bientôt le centre d’un vaste périmètre de sécurité, le métro fut arrêté, le train bloqué jusqu’à Parne-la-Vallée, la production de pétards à mèche interdite par décret et les avions ne décollèrent plus de Voissy, ni de Xyon. À Frest, le tarmac fut aussi mis en veille totale. 29 camions de pompiers, 18 cars de police, trois brigades de chasseurs alpins et 22 commandos de Marine, la fanfare de la Garde et un légionnaire en permission réquisitionné furent positionnés autour du magasin, sans compter un porte-avions placé en rade de Foulon, tous les chasseurs Bafale armant leurs missiles. Les usines de production de jambon et d’andouille salée renvoyèrent leurs employés en RTT obligatoires par prudence.
Ayant bien pesé ceci et cela, Candida se dirigea, vers une sortie, avec le plus de naturel possible bien qu’il n’y ait personne pour voir son air dégagé. Si elle avait allumé son téléphone portable, elle aurait vu ses 157 SMS non lus et 99 appels en absence. En effet, les chaînes d’information en continu l’avaient identifiée comme étant restée dans le magasin, seule face à la babouche suspecte et louche !! Son nom tournait en boucle sur tous les écrans et résonnait dans tous les flashes d’information. On craignait le pire pour elle, sa rubrique nécrologique était quasiment rédigée dans La Terre.
Toc toc toc sur la porte de verre. Celle-ci promptement déverrouillée s’ouvrit et de puissantes lumières se braquèrent sur la jeune femme, ainsi que les canons de 42 snipers postés sur les toits du voisinage. Candida aperçut une forêt de caméras et de micros qui se tendirent vers elle.  Si vous voulez, je vais vous chercher la babouche proposa-t-elle aux journalistes inquiets qui assaillaient de questions celle que l’on appelait déjà « la survivante des Galeries » ou encore « l’otage du colis louche babouche »
Mais elle n’en eut pas le temps, car 18 hommes des forces d’interventions spéciales, lourdement armés étaient déjà entrés en trombe et en train de faire sauter l’objet terrifiant et menaçant la ville entière.
Invitée du Journal de 20h00, Candida parla de son expérience avec courage. Elle fut reçue par le maire le lendemain et décorée de la Médaille de la Ville de Parici. Enfin, les Galeries lui offrirent un bon d’achat de 4€90 à valoir sur n’importe quel article (sauf marqué d’un point rouge ou vert car déjà soldé). L’héroïne du jour rentra ensuite à Sangerlie et fut accueillie par une émouvante réception à la Mairie.  




10. Pourquoi Candida se mit à fréquenter les salons de beauté (FHD)

Lors d’un achat d’un petit pot de crème pour sa mère, Candida se vit remettre un bon de réduction pour un soin du visage exclusif chez Soibelle. Son miroir repéra quelques points noirs aussi se décida-t-elle à prendre rendez-vous. Le jour fixé, elle fut conduite, après la traversée de la boutique où les parfums se mêlaient jusqu’à l’écœurement, dans une petite salle d’attente aveugle - l’espace coûte cher -, grise, minimaliste, à la lumière tamisée diffusée par une bougie parfumée à l’encens. L’hôtesse qui l’y avait conduite, toute de noir vêtue, chevelure dissymétrique et ongles laqués anthracite, lui proposa une boisson chaude. Un instant plus tard, la nouvelle cliente assise sur une coque de plastique aspirait à petites gorgées un liquide brûlant et indéfinissable servi en gobelet. Candida n’eut guère le temps de se demander si elle allait en enfer ou au paradis, car elle fut invitée à entrer dans le sein des seins (sic), à enfiler un peignoir immaculé brodé Institut Soibelle et à s’étendre sur une table d’opération ; l’esthéticienne parut et d’une main experte commença à appliquer le programme désincrustant–boostant tout ce que vous voulez, essentiellement votre ego : un gommage ravala tout l’amour-sale de la jeune fille suivi de l’extraction des points noirs de sa vie-sage, puis d’applications de différents onguents texturés et gorgés à l’anti-tout et enfin un masque aux zerbes de zébu qui obtura tous ses pores jusqu’à suffocation.
L’adage « il faut souffrir pour être belle », bien connu de Candida l’aida à supporter vaillamment toutes ces étapes, en plus, elle le valait bien. Elle sortit épilée, pressurée, labourée, hydratée, pommadée, maquillée, poudrée, et presque embaumée, le porte-monnaie soulagé d’une centaine d’euros et gonflé d’une carte de fidélité. Comme sa psyché lui confirma que ses valises suboculaires étaient réduites au profit de paquets de mascara-charbon et que le rouge-sang, dernier cri de cet hiver bestial, collait ses lèvres, elle pensa, que son naturel étant potentialisé, elle pourrait concurrencer Aphrodite et qu’elle ferait fondre Sébastien. Elle le bipa et celui-ci la rejoignit promptement avec Tom sur ses talons qui, à la vue de cette transformation psychédélique, s’exclama selon son habitude. « La vie est belle ! » Puis Sébastien ajouta : « Oh, oh, tu ne nous as pas dit que nous allions à un carnaval ! » Ce qui la vexa pour longtemps.

11. Comment Candida rencontra une fameuse artiste et se fit jeter en prison (MD)

Candida se demandait si Tom avait raison, en tout ou partie, de penser que la vie était belle. L’inaction lui semblait être la dernière solution aux maux qui s’abattaient sur le monde. Encore moins une possibilité d’atteindre ses projets de voyage ou artistiques et de retrouver son bien-aimé Sébastien.
Cependant qu’elle philosophait ainsi, dans une galerie d’art, ses pas la portèrent au-devant d’une sculpture tout à fait étrange aux formes généreuses et couverte de couleurs vives. Elle s’arrêta pour l’admirer, car elle lui flattait l’œil. Le créateur avait signé Nick von Fall. Prenant informations aux alentours, elle apprit que se tenait à Parici une expo des chefs-d’œuvre de l’artiste. Elle s’y rendit sans plus attendre. Ce qu’elle vit finit de la convaincre que l’art est un moyen d’expression majeur et qu’elle avait toute raison de vouloir le faire sien.
Une jeune femme aux allures peu communes : tête bouclée, boucles d’oreilles dansantes, boucle de ceinture étincelante et bottines cloutées et vêtue de tissus aussi chatoyants que les sculptures alentours, l’aborda. Elle se présenta : elle était la petite-fille de l’artiste et se prénommait Fleur.
Candida fut aussitôt ravie de cette rencontre. Elles eurent une longue conversation sur l’aïeule de Fleur et sur le projet qu’elle avait mené toute sa vie : porter la condition féminine à sa juste valeur contre les brutes misogynes de son époque. Notre héroïne conclut de cet entretien qu’il suffisait d’avoir expérimenté la philosophie de l’inaction pour le moment. Il était temps de voir si l’opposé ne valait pas mieux. Fleur expliqua promptement à Candida qu’elle avait constitué un petit groupe qui s’appelait Femelles et embrassait le dessein de son aïeule. Candida décida de les suivre lors de leur déambulation pour réclamation de droit. La seule condition était de dévoiler la blancheur de sa gorge. Ce qu’elle fit aussitôt.
Candida et Fleur marchaient dans Parici avec les Femelles, leur poitrine largement dénudée et le poing hautement levé, quand des brutes de la garde des bonnes mœurs les contraignirent à se couvrir et les jetèrent dans un panier à moteur et à roues où elles furent secouées comme des salades et les débarquèrent au commissariat.
Dans quel bourbier m’a jetée cette action, se lamenta alors Candida. Je n’ai rien fait de mal, j’ai appris beaucoup de Nick von Fall et de l’expression artistique. Je n’ai rien fait de mal, j’ai rencontré Fleur, dont le but est tout à fait louable. Et pourtant, j’ai été arrêtée et me voilà maintenant au poste. Quand reverrai-je mes amis ? Est-ce que Sébastien va m’engueuler ? Se peut-il que le coach de ma sœur ait vraiment raison de croire que la vie est belle ? Ah quel malheur de ne point savoir quelle philosophie adopter !

12. Pourquoi Candida reçut une admonestation de ses parents (CAD)

C’était dimanche, quelques jours après le petit séjour au commissariat, il faisait beau, l’air était frais, le vent léger. Monsieur et Madame Bécébéger proposèrent une promenade dans le parc de Sangerlie. Le paysage charmant du lieu favorisait les confidences. Ils prirent place sur un banc de pierre le long du jardin anglais.
Béatrice et Richard comptaient bien faire quelques remontrances à leur fille et s’étaient mis d’accord sur les griefs à mettre en avant. 
Richard prononça d'une voix sévère les phrases suivantes : « Chère fille, tu as toujours fait ce que tu voulais. Nous t'avons aidé à réussir tes études secondaires. Après avoir vu l'exposition, tu as suivi la première venue pour aller manifester avec les Femelles. Tu ne connais même pas les idées de ce groupe. Et tu te promènes à moitié nue dans les rues sans savoir vraiment pourquoi. Décidément, tu es beaucoup trop naïve, tu manques de jugeote. Quelle honte pour nous d'avoir été appelés par le commissaire de police pour nous avertir que tu étais au poste comme une délinquante ! J'espère que tu te rends compte de ta stupidité. Heureusement que tu es encore mineure sinon tu aurais pu être mise en garde à vue. »
Béatrice ajouta : « Il faudrait que tu aies un peu de plomb dans la tête et que tu agisses désormais avec réflexion et méthode. Il ne faut pas faire aveuglément confiance à n’importe qui. Tu as commis une grosse bêtise et nous nous demandons si nous pouvons te faire confiance à l’avenir. Richard continua. À partir de maintenant tu gagneras ton argent de poche, tu financeras tes voyages et surtout tu nous diras chez qui tu vas et, le soir, tu rentreras à minuit dernière limite. »
C’était la première fois que Candida se faisait ainsi admonester par ses parents. De grosses larmes coulaient le long de ses joues. Elles traduisaient sa honte et sa tristesse. Elle ne pouvait prononcer une parole et ne savait comment réagir. Elle se mit alors en mode veille
Ses parents alors, remplis de compassion la prirent dans leurs bras et Candida, comme le corbeau de La Fontaine, jura qu’on ne l’y prendrait plus et que la vie serait belle ! 



13. Comment Candida obéit aux diktats des médias (FHD)


Gavée de spots pubs, Candida but d’un trait son verre de lait puisque, pour se sentir au mieux de sa forme, il est conseillé de consommer des produits laitiers même si certains organismes sont, de ce fait, exemptés de dragées laxatives. Puis, dès la sortie de son immeuble vers son lieu de travail temporaire, elle voulut s’asseoir dans une voiture en libre-service mais se ravisa, elle se mit à marcher d’un pas vif 20mn, selon le temps prescrit, après quoi, elle relâcha son pas et fit du lèche-vitrine. À son poste devant l’ordi, elle dut s’abstenir de fumer et, à la pose, ne vapotait plus puisque son bureau surplombait une crèche. Au déjeuner, elle s’enquit de conjuguer 5 légumes ou 5 fruits en alternance avec le menu de son dîner. C’était la santé assurée, la sienne mais pas celle de son porte-monnaie ; en effet, pour son budget, c’était presque le fin des haricots, elle n’aurait bientôt plus un radis… Pour dessert,  je n’aurai bientôt plus de poire pour la soif, ni de cerise sur le gâteau ! 
Tous les moments et actes de sa vie étaient régis, jusque dans son lit, par les injonctions réitérées quotidiennement par les médias, mais il semblait que sa liberté n’en souffrait point. Elle savait être gaie, les soirées de week-end, elle s’adonnait au binge drinking, biture express à la mode chez les ados, avec sa bande de copains, en plein air de préférence, dans la forêt de Sangerlie. C’est ainsi qu’elle attrapa une bronchite hivernale qui est, comme chacun sait, beaucoup plus sévère que l’estivale mais comme elle avait appris cathodiquement que les antibiotiques, c’est pas automatique, elle pratiqua l’auto-médication par les plantes. Ce traitement, la dernière mode en matière de santé, fut tellement efficace qu’il la tint loin de la fac pendant plus de 3 mois. Et voilà pourquoi, elle fut complètement absente lors des partiels alors qu’à son habitude elle ne l’était que partiellement le restant de ses cours. Elle dut se réinscrire en septembre et redoubler son année. Comme elle retraçait le cours des événements, les cordons de ses larmes se défaisaient. En plus, je ne peux ni ramener ma fraise chez Sébastien, ni l’inviter à la maison. Tous mes efforts pour des prunes ! Et c’est qui la cornichonne de l’histoire ? Ma pomme !
Mais, puisqu’elle croyait profondément, passionnément et naïvement au leitmotiv de Tom, elle ne s’assombrit pas davantage et alla décida d’aller passer l’été au soleil en Lerope ou pourquoi pas sous les Tropismes comme elle disait.



14. Quand Sébastien se mit à fouiller dans le passé de Candida (IP)

Sébastien connaissait assez Candida pour savoir qu’elle faisait semblant de faire bonne figure, tempêtes et tornades se déchaînaient en elle. Pour l’apaiser, il résolut d’aider son amie à retrouver sinon ses parents du moins sa mère. L’idée de préparer une heureuse rencontre lui traversa l’esprit. Il chercha sur internet des sites de mères ayant abandonné leur enfant, consulta des blogs d’enfants cherchant leur mère biologique, se rendit compte de la souffrance non verbalisée, s’informa sur des forums et visita des pages d’experts en psychologie. De nombreux sites étaient en anglais et son niveau dans cette langue ne lui permettait pas de tout comprendre. Il avait pensé se débrouiller tout seul puis résolut de recourir à Tom, dont il était légèrement jaloux, celui-ci ayant plus d’assurance que lui. Il espérait, cependant, que Candida n’en pinçait que pour lui-même.
En plus, Tom connaissait bien mieux que lui les méandres informatiques. Il lui fit des traductions orales mais surtout trouva le chemin d’une base de données. Sébastien ne savait pas trop si elle était normalement accessible à tous. Y figuraient le portrait de chaque femme dans ce cas, mais des étoiles en cachaient le nom. Il y avait des centaines de femmes avec photo et il fallait rentrer dans chaque fiche pour trouver les informations. Tom dénicha cependant le moyen de récupérer un fichier sous forme de liste. Ils crurent qu'il ne leur restait plus qu’à faire une recherche avec la date de naissance de Candida pour trouver le nom de sa mère biologique. Que nenni, il fallait, en outre, l'heure de naissance. Comment l'obtenir ? Ils décidèrent d'aller interviewer Suzie. Après tout n'était-ce pas elle qui avait soulevé le lièvre ? La petite sœur se montra coopérative et envoya un mél à la mairie de la commune où était née Candida : "Nullepart-sur-Rien" mais garda le secret sur la manière dont elle avait glané ce renseignement.
Tom prit le temps de fermer toutes les applications sur l’ordinateur de Sébastien et d’opérer quelques manipulations complémentaires dont ce dernier ne comprit pas vraiment la raison. Ils discutèrent ensuite de la façon dont ils informeraient Candida. Le premier était partisan de lui dire tout de go, la jugeant tout à fait solide psychologiquement. Le second, plus circonspect, s’inclina devant les arguments de son aîné qui connaissait  les arcanes de l’âme humaine. Ils se rendirent donc ensemble chez leur amie et lui présentèrent les résultats de leur quête sous forme de courrier confidentiel.
« Qu’importe si ma mère m’a abandonnée. Certes, je n’existerai pas sans cette personne  Merci de vos recherches. »
Candida déchira avec application l’enveloppe et son contenu. La vie, droit devant, était belle.

15. Ce qu’il advint de Candida, d’un luthier, d’une carte de visite (MM)


Candida se ressentait un esprit nouveau dans cette ville verte et bleue. Elle était par le clapotement de l'eau parfois apaisée voire mélancolique, parfois excitée comme ces vaguelettes qui frappaient le quai. Elle avait fui la ville de Sangerlie pour descendre dans le sud pour un job qui lui fournirait de l’argent pour financer son prochain voyage et puis elle verrait…
Le projet d’aller vers les Tropismes, comme elle disait, la taraudait. Peut-être s’embarquerait-elle dans un bateau pour Canger ? Comme celui, énorme, qui faisait retentir dans le port sa sirène dans la nuit froide et argentée.
Elle se contentait d’un petit job qu’elle avait trouvé chez un luthier du nom de Pangolin. Un nom d’origine italienne, comme beaucoup ici. Ce bonhomme, costaud, rougeaud et jovial voulait lui enseigner les secrets du métier. L'usage des tasseaux, de la touche, des sillets hauts et bas. Il voulait lui apprendre à valser avec la barre d'harmonie, plonger dans l’âme de l'instrument, pénétrer les secrets des ouïes. Faire corps avec le chevalet, le cordier, les attaches cordier, les chevilles, boutons et filets, volute d'éclisses et de contre éclisses. Lorsqu'il la voyait franchir le seuil, il était ému, car il voulait devenir son mentor.
Apprends un métier ! lui répétait-il Regarde la prestigieuse école de Crémone qui a inventé le violon, l'alto et le violoncelle ! Ne laisse pas ta vie, ton talent couler comme l'eau d'une fontaine. Candida l'aimait bien cet homme et elle savait que ses propos étaient empreints de bon sens, mais elle ne se voyait pas finir ses jours dans cette échoppe. Elle avait trop besoin de liberté.
Dès qu’elle sortait de la lutherie, elle longeait rapidement les rues étroites de la ville pour se délecter des gâteaux aux amandes, à la pistache, au chocolat et aux noisettes que son ami le pâtissier Bongo lui concoctait. Ensuite, elle filait par les escaliers, dépassait le cimetière marin et s’asseyait les jambes croisées et les coudes dans les mains pour admirer le coucher de soleil cramoisi, le visage caressé par le vent.
Un jour elle partirait.
Par une belle soirée d’été alors qu’assise elle rêvait boudeuse et silencieuse au pied du grand réverbère, une ombre noire s’avança devant elle. Un homme en soutane et chapeau noir d’une voix grave lui murmura : « Je vous observe ma fille et vous me paraissez bien lasse. Savez-vous que Dieu vous accompagne, savez-vous que Dieu est en vous ! » 
Ah oui merci monsieur, je veux dire mon père, excusez-moi… Puis elle se leva et regagna sa chambrette. Elle enfila prestement ses espadrilles et regagna le sommet de la colline. Les bourrasques, de vent et de pluie, avaient lavé la place qu'elle aimait. Au loin, les bateaux luttaient en franchissant les vagues d'écume et les nuages se poursuivaient comme des enfants ivres de vie.
Candida restait immobile, pareille à une statue de sel.
Tout d’un coup, dans son dos, elle sentit une présence. L'homme avait les mains sur les hanches et la scrutait de ses yeux verts. Comment tu t'appelles ? Quel âge as-tu ? Tu fais quoi dans la vie ? Plus il souriait, plus cela la mettait mal à l'aise. L'homme était mat de peau avec une oreille percée d’où pendait une créole en or. Des santiags violettes, un pantalon et un blouson de cuir et une croix attachée à une large chaîne qui pendait sur sa chemise ouverte.
Candida éprouvait un curieux mélange d’attirance et de répulsion pour cet individu. Elle se leva prestement, voulut s’enfuir, mais l'homme lui prit le bras d'une main ferme, et de l'autre, lui remit une carte de visite.
« Sait-on jamais, je suis sur le quai numéro 1, les lumières rouges, La Sentinelle, ça s’appelle, viens, une jolie fille comme toi … »
Candida faillit hurler mais l'homme tout en continuant à sourire relâcha son étreinte et la laissa s'enfuir. Elle descendit rapidement les escaliers en serrant la carte, puis, dans une encoignure de porte protégée de la vue des passants, elle ouvrit sa main et put lire : Babylone, Cabaret rock et effeuillage Burlesque.
Elle savait déjà qu’elle s’y rendrait.

16. Ce qu’il advint à Candida en Extrême-Orient (CAD)


En fait, le Babylone était un vieux rafiot dont l’équipage avait traversé moult tempêtes Dès l’arrivée de Candida, il leva l’ancre. Un peu surprise, elle demanda quelle était la destination prévue, il lui fut répondu que le bateau se dirigeait vers l’Orient et que ce voyage ne lui coûterait pas un kopeck. Cela lui suffit pour vivre sereinement les jours de navigation. Un beau jour, on lui dit qu’elle était arrivée. Où donc ? Elle ne voyait rien de connu, mais on lui fit savoir qu’elle était attendue. En effet, un beau jeune homme, Akira Yamamoto s’inclina devant elle. Il lui souhaita la bienvenue au pays du soleil levant et lui proposa – en l’appelant respectueusement Candida San - Mademoiselle Candida - d’être son chevalier servant pour visiter la capitale. Elle se demanda si, en tant qu’étrangère, elle était perçue comme sainte ou intouchable
Elle allait bientôt avoir la réponse. Monsieur Yamamoto entreprit de lui faire visiter les grandes villes du Ponja. Après un court séjour à Mokyo, il la fit venir à Cyoto, l’ancienne ville impériale et l’une des villes les plus agréables de l’île. En fait, c’était le siège d’une secte mafieuse qui régnait en maîtres sur la cité. Candida San, fort surprise d’avoir rencontré un homme si bien fait, si avenant à son égard et parlant suffisamment bien l’anglais. Elle était ravie de loger dans un palais en bois, très bien agencé, avec des portes coulissantes, des tatamis sur le sol, une vue sur un joli jardin zen et un environnement beau et calme. Elle fut présentée à une dame aux traits appuyés, au demeurant très charmante Mariko San, Madame Mariko qui décida de l’habiller de deux façons : soit, en costume traditionnel pajonais avec plusieurs parures en soie, un énorme obi entourant sa taille et une coiffure en coque, soit avec des tenues de grands couturiers français et internationaux (Gior, Barmani...). Rien n’était trop beau pour parer la petite Française.
Candida San n’avait jamais été aussi belle et sexy. Tout en s’amusant d’être coiffée et déguisée en pajonaise authentique, elle trouvait les préparatifs interminables. Le miroir lui renvoyait une image nouvelle. Son allure, son maquillage, sa tenue étaient l’objet de l’admiration de tous ceux qui la rencontraient. Elle était à 1000 lieues de se douter du rôle de Mariko San. Elle se disait qu’elle vivait un conte de fées.
Toutefois, un soir, alors qu’elle participait à une réception donnée en son honneur par Mariko San et les dirigeants de la secte mafieuse et qu’elle regardait avec intérêt les serveurs déambuler avec d’immenses plateaux en argent garnis de cocktails sushi, tempura, makis…, Candida San eut soudain la nostalgie de son pays natal, de sa vie familiale avec sa petite sœur, de ses parents aimants. Elle se mit à réfléchir à l’aventure dont elle était l’héroïne. A l’autre bout du monde, elle se posa la grande question existentielle : Que suis-je venue faire dans cette île ? Elle, la petite adolescente de Sangerlie qui avait à peine terminé son parcours scolaire, se trouvait dans un pays inconnu au milieu d’un parterre d’inconnus qui semblaient tous très riches et puissants sans doute célèbres : (patrons d’industrie, des hommes d’affaires, des banquiers, des politiques, des diplomates, des journalistes, des femmes très élégantes revêtues du somptueux costume traditionnel en soie. Tout était d’un raffinement extrême.
Pourquoi tant de fêtes, tant de réceptions, tant de parures, tant de cérémonies, tant de richesses ? Tout était merveilleux et Candida San avait l’impression de vivre un véritable conte de fées. Elle était adulée comme un être exceptionnel. Et pourquoi elle ? Quelques remarques, des sourires entendus, quelques phrases mais surtout quelques attitudes entreprenantes de certains convives, la façon de se comporter des serveurs, tout cela commença à l’inquiéter. Candida, bien que jeune et inexpérimentée, se sentit être la proie d’une organisation sans scrupules et très dangereuse. Elle se souvint d’un cours du collège Sangerlie où le professeur d’histoire-géo, Théo Sékan, d’origine arménienne, avait abordé l’originalité des mafias pajonaises et leur rôle néfaste sur le plan international : les yakuzas en effet, constituent un groupement sectaire et mafieux qui opère dans les milieux de la grande criminalité – drogue, narcotrafic, traite des êtres humains -. Elle, l’occidentale, toute fraîche et sans défense, aurait été choisie afin de devenir un des fleurons du groupe de geishas que Monsieur Yamamoto recrutait et que Mariko San, mère maquerelle formait pour qu’elles satisfassent les plaisirs des riches ou des haut placés pajonais … ?
Elle se fit le serment de se libérer et pensa alors au refrain du coach de sa petite sœur : « la vie est belle ». En effet, jusqu’à présent, elle l’était alors comment échapper à ces criminels ? Elle élabora alors un plan d’évasion : elle prétendrait vouloir mieux connaître le Pajon, se passionner pour les grands musées de villes importantes afin de se réfugier dans une ambassade ou un consulat français, exposer les dangers qui la guettaient et se faire ensuite rapatrier par les services diplomatiques…
Tout à coup, pendant la réception au palais en bois, un phénomène extraordinaire se produisit ! Une secousse violente eut lieu : les tables dressées de mets savoureux se cassèrent, les invités tombèrent comme des baguettes de Kimado, le bâtiment s’effondra sur les convives dont certains furent emprisonnés entre des pans entiers de murs en bois, des poutres et les étages du palais. Une panique envahit la ville, des cris, des hurlements, des sirènes retentirent… Il y avait des victimes, des blessés, des morts, des ensevelis sous les bâtiments. Sans comprendre, Candida se mit à courir hors du palais de bois, les coutures de son kimono craquèrent, elle se retrouva parmi les rescapés, esquissa un triste sourire se disant que cette catastrophe était pour elle un début de libération… Après avoir couru au milieu des flammes et des débris de toutes sortes qui jonchaient les rues, elle parvint à se diriger vers les services de secours et les nombreux camions de pompiers qui sillonnaient la ville. Un des sauveteurs la dirigea vers un bus allant à Myoko, lieu sûr pour les rescapés.
Le lendemain du tremblement de terre, grand branle-bas de combat : des centaines d’envoyés spéciaux venus du monde entier avaient été dépêchés au Pajon. Non seulement, il s’était produit un gigantesque tremblement de terre, de niveau 6 sur l’échelle de Richter, mais il y avait eu parallèlement un tsunami dans la Mer du Pajon qui avait recouvert les terres en bordure du rivage emportant tout sur son passage et surtout, le tsunami avait noyé la centrale nucléaire de Kufushima, située sur le rivage. Désormais sur une grande partie du Japon se déversaient des flots de nuages radioactifs !
Une fois encore, Candida remercia sa bonne étoile. Après avoir répondu à des interviews de plusieurs médias étrangers, elle fut prise en charge par l’ambassade et put être rapatriée par le premier avion en direction de Parici.
Décidément, elle l’avait échappé belle !

17. Comment Candida échappa aux diktats de la mode (JV)

Après cette aventure et rentrée à Sangerlie par le train de 18h32, Candida l’index en bataille sur sa souris naviguait de par le monde grâce à Hunternet-le-Grand. « Fort bien, se dit-elle, je m’en vais moi aussi tenter de ressembler à ces égéries riantes vêtues de drap d’or et suivies par des  légions de courtisans ! » Elle explorait, tournait et virait sur la Toile avec une belle constance, car la mathématique des octets lui avait été enseignée par Tom. Il lui prodiguait un enseignement régulier des meilleures pratiques et lui disait chaque jour : « Clique, Cand, clique, il en restera toujours quelque chose ! »
D’ailleurs, son gentil camarade Sébastien avait profité d’un après-midi où ils étaient seuls à la maison pour partager avec elle une série de saynètes animées et fort coquines qui l’avaient fortement émoustillée. Mais là n’était pas le sujet de préoccupation du jour de Candida. En effet, elle voulait se mettre au parfum de la mode en surfant sur des sites comme Tendances, Hightech Fashion…
Elle observa un portrait en pied de Lady Cracra, seulement vêtue d’une peau de chèvre naine du Tucuman et d’un chapeau orné de plumes de merles du Surinam, qui était assez seyant. Ou bien encore Maria Cotillon parée des plus beaux atours de la maison Gior. Ah, toutes ces femmes si belles et aux allures de princesses ! Elle enregistra sur son disque en cristal de roche une série de représentations de Justin Bippeur, ses amis les frêles Tou Bi Frits et du spécialiste écossais du Jeu de Paume que l’on nommait Handy Muret. De jeunes coqs pleins de vie, assurément poètes et bretteurs ?
Elle navigua avec furie jusqu'à découvrir l’adresse, l’heure et en quel super palace paricien se déroulait le défilé de mode du vicomte autrichien Charles Kalerfeld. Devant les grilles du palais, boustée par son culot et sa belle jeunesse, elle passa sans peine le barrage d’une paire de vigiles peu amènes mais attendris par ses bonnes joues et son sourire charmant. Elle allait voir en live de quelles robes, parures, caracos, pourpoints et jabots il fallait se fringuer pour briller en ce monde. Au centre d’une vaste salle, vivement éclairée de mille bougies, une avancée de bois semblable à un quai de port fluvial se trouvait au milieu exact de quelques rangées de sièges. Cette avancée était reliée à une scène de théâtre d’où allaient surgir les modèles et leurs atours. Candida se faufila jusqu'au premier rang, entre un Perse bedonnant et une vieille duchesse pommadée et néanmoins presque mourante (voir tableau de Goya) qui battait avec agacement l’air de son éventail de nacre. Un public huppé, poudré, hyper parfumé aux lèvres pincées se tenait là, bruissant et en attente. Soudain des violes de gambe entamèrent une marche funèbre, des laquais soufflèrent la moitié des bougies et tous les Smart Faunes furent allumés. Un tambour lancinant démarra une sourde chamade. Le rideau du fond s’ouvrit et le défilé débuta. L'une après l'autre, les mannequins surgissaient d'un enfer glacial puisqu'elles avaient l'air gelé, boudeur, voire mécontent, en équilibre si instable qu'elles se dépêchaient de repartir au plus vite, sous les soupirs de pâmoison de quelques spectatrices.
Candida resta pétrifiée pendant toute la cérémonie, et sortit presque en larmes au bout d’une petite heure. Elle courut pour attraper le train A de 18h46, qu'elle attendit une bonne demi-heure et des brouettes et où elle se trouva comprimée entre un attaché case aux angles vifs, des doudounes pas lavées depuis 3 hivers et des corps en manque de déodorant. Arrivée à Sangerlie, elle s’effondra dans les bras de sa mère Béatrice et vida son cœur : Maman, je ne veux pas être comme ces diablesses ! Toute chair semble avoir été aspirée par le Mal ! Leurs os sont saillants, leurs cuisses sont plus fines que leurs mollets ! Leurs regards vides et sinistres, leurs visages sans ride et sans l'ombre d'un sourire. Ah, Maman, ce que j’ai vu sur l’Hunternet n’est qu’apparence et la réalité est infiniment moins que fiction! C’est ainsi que Sagesse et Raison firent leur entrée dans le cortège des dons de Candida.
Elle échappa de facto aux diktats de la Mode et se vêtit dès lors avec sobriété, préférant désormais partager de plus tendres moments avec le gentil Sébastien qui tenait à lui démontrer le doux penchant qu’il avait pour elle…



18. Candida et la belle contrée (HS)


Candida aimait sa ville et son ambiance…les sans-culottes qui ne connaissaient sans doute que les hauteurs du village de Hautmartre n’avaient-ils pas débaptisé son nom chrétien pour la nommer « la montagne du Vel-Air » en 1793 ?
Mais Candida avait besoin d’évasion et se régalait des récits de sa grand-mère d’adoption sur les hauts faits d’une branche familiale partie pour une vie meilleure sur les « quelques arpents de terre » dédaignés par Voltaire. Que de récits exaltants en effet : un ancêtre avait été scalpé par un iroquois sur les rives du Saint-Laurent, la cuisinière en fonte d’un chariot avait transpercé le plancher de la carriole lors de la traversée à gué de la rivière du Loup en face de Tadoussac…lors du premier hiver la famille avait été bloquée huit jours par la neige dans son abri de fortune…
Candida rêvait de ce continent mystérieux que ces ancêtres atteignirent après six semaines de traversée à bord de voiliers au nom évocateur : Sylvie de Grasse, Christophe Colomb…
Pourquoi ne serait-elle pas une nouvelle Marie Chapeaulaine ?
Candida prit la décision d’entreprendre ce voyage vers les lointaines Amériques et se décida à entrer dans une agence de voyages. On la dissuada vite d’attendre la fin de la prochaine Transat Tébec-Saint-Mali pour partir là-bas avec un équipage canadien et on la convainquit de prendre un billet d’avion qui la déposerait commodément à Bontréal en huit heures…Dieu merci, à l’évocation de la mortalité effroyable qui ravageait autrefois les immigrants de 3ème classe logés au fond d’une cale, elle ne risquait dans la classe- touriste low-cost que quelques trous d’air et des chevilles enflées.
Elle atterrit à Bontréal sans encombre…cherchant cette fameuse « cabane au Canada » vantée par son aïeule. Elle fut un peu surprise par la taille des gratte-ciel mais fut heureuse de découvrir la petite église, lieu du mariage d’un cousin, blottie entre deux immenses immeubles aux façades réfléchissant la lumière. Après quelques moments d’étourdissement, elle s’estima fort « chanceuse » en employant toute fière des rudiments du parler local. La jeune fille entreprit de descendre le Saint-Florent jusqu’à Tébec. Nourrie de gravures anciennes, elle demanda innocemment à une officine comment atteindre en pirogue ce lieu célèbre où le fleuve s’élargit. Un représentant de la belle Province se moqua gentiment de cette cousine de France. Il n’y avait plus depuis longtemps d’indien pagayant sur le fleuve mais elle pouvait soit reprendre l’avion sur une compagnie locale qui lui demanderait presque aussi cher (sic) que pour traverser l’Atlantique, soit de monter à bord d’un car confortable qui lui coûterait simplement quelques piastres.
Candida suivit ce conseil et après avoir « magasiné chez un dépanneur » quelques provisions, elle prit place dans un grand car, équipé de toilettes, de fauteuils inclinables et d’écrans TV individuels, conduit par un chauffeur dont le profil lui fit penser à celui d’un guerrier Huron guidant des trappeurs…
En ce mois d’octobre, Candida avait entrepris sans s’en douter un voyage initiatique qui devait profondément la marquer ! La route qui menait vers le Nord était en soi monotone mais les forêts des bas-côtés dévoilaient petit-à-petit leurs splendeurs. L’été de l’indien, comme disaient les iroquois, étalait ses richesses pour Candida, le pourpre des érables, les ors des bouleaux et une touche d‘épinettes composaient un spectacle grandiose et flamboyant. Elle arriva transportée d’émotion dans la vieille partie de Kébec qui lui fit penser à Saint-Mali… Depuis le château de Frontenac (ce gouverneur qui fut le compagnon de jeu de Louis XIII à Sangerlie !) s’étalait devant elle le fleuve et les moutonnements des collines colorées.
Toute chose a une fin et l’arrière-saison pluvieuse, les premières gelées, la migration des oies blanches vers le Sud eurent raison de l’enthousiasme de Candida… il fallait revenir à Sangerlie auprès des siens et leur faire partager ses découvertes. L’enchantement de l’été de l’indien l’avait profondément transformée, sa vision des couleurs avait pris un relief et une acuité inconnue. Elle sentait des picotements dans ses doigts… il lui fallait exprimer par la peinture toutes ces splendeurs… tenir une palette et sentir l’odeur des tubes de peinture et se lancer sur la toile blanche… peindre … oui elle allait peindre.

19. Où Candida rencontra une ancienne amie de lycée et se voit proposer d’être la 4ᵉ épouse du mari d’icelle


Par un bel après-midi un peu froid mais ensoleillé de février, Candida arpentait les rues de Sangerlie, le nez au vent, le teint rosi par l’air frais, l’esprit occupé par Tom, le coach de sa chipie de sœur Suzie et le cœur à moitié pris par Sébastien, son meilleur ami. Elle s’apprêtait à traverser la rue de Parici lorsqu’elle entendit derrière elle une voix féminine l’appeler :
– Cand, Cand ! Elle se retourna et vit côte-à-côte deux tas de tissus, épais, vert et doré drapant deux formes humaines dont n’étaient visibles que les yeux au demeurant fort beaux, admirablement maquillés, des ailes de papillons améthyste et jade.
– Ah ! Tu ne me reconnais pas ! fit joyeusement la voix fraîche et juvénile jaillissant d’une des deux femmes bâchées, recouvertes d’une fantômette pesant tout son poids de tradition patriarcale, tenue plébiscitée par des hommes pour les femmes de la religion du Triangle d'or pour son côté seyant, pratique et surtout protecteur contre le regard des mécréants et le cancer de la peau. Une fantômette c’est un indice de protection solaire d’au moins 99,98%, le 0,02% concernant les paupières mais il est question d’ajouter une grille salvatrice devant les yeux. Quelle admirable et surprenante religion, si soucieuse de la vertu et en même temps de la santé des femmes !
– C’est difficile…avec, heu !…ce…vêtement  qui te recouvre…attends…attends cette voix, ces yeux…Madeleine ! C’est toi ?
– Mais oui ! Mais je ne m'appelle plus Madeleine, je m’appelle Cédéa maintenant et je suis mariée, claironna fièrement la jeune femme.
Candida resta bouche bée devant son ancienne amie de lycée qui, en un éclair, resurgit dans sa mémoire, Mado l’espiègle, la joie de vivre même, crinière féline, jambes longues sous une jupe courte, aussi courte que ses idées, légère et imprévisible Mado ! Celle-ci toute à la joie d’avoir retrouvé son amie, ponctuait ses phrases de grands moulinets de ses bras aux mains gantées. Voici Abéa, la première épouse de mon mari  dit-elle désignant le 2e fantôme à ses côtés qui hocha la tête. Elle agrippa la main de son ancienne camarade de classe et l’entraîna. Viens chez nous, j’ai tant de choses à te raconter !
Elles arrivèrent devant une porte cochère, rue de la Liberté, près du musée Lachetoit et entrèrent dans une grande maison entourée d’un beau parc planté d’arbres centenaires.  Cela sent le rupin et la thune  dirait peut-être Sébastien avec sa gouaille moqueuse. La décoration et le mobilier chargés, lourdes tentures, canapés moelleux, tapis épais, bibelots clinquants et tables de marbre firent grande impression sur Candida. En un tournemain, Mado-Cédéa se débarrassa de sa fantômette et se jetant dans les bras de son amie, la serra contre elle.
– Es-tu heureuse, Mad…heu, Cédéa ? 
– Oh oui !  roucoula cette dernière Mon époux est riche, point trop vieux, à peine 35 ans de plus que moi, souvent absent et je le partage paisiblement avec deux autres épouses Abéa et Bécéa, mes sœurs.
– Comment cela, tes sœurs ? Tu n’étais pas fille unique ? balbutia Candida.
Les épouses de mon époux deviennent mes sœurs et leurs enfants, un peu mes propres enfants. Et puis, paradis sur terre, bonheur suprême, joie indicible, je ne décide RIEN, tout est réglé, rythmé par le Grand Écrit, les 1027 commandements du Livre Sacré, TOUT est prévu. Et surtout, cerise sur le gâteau au miel, friandise aux pétales de rose, je suis TOUJOURS choyée, gâtée, chouchoutée, je ne suis JAMAIS seule, entourée de mes sœurs bien-aimées et de boîtes de durian confit, venant des ateliers de nos vestales, le meilleur au monde.
– Alors, ici, rue de la Liberté, si je comprends bien », résuma Candida, stupéfaite devant ces propos exaltés, « tu as vraiment tout, sauf…la liberté de penser, lire, rêver, enfin…tout ce qui demande un peu de solitude ».
Là-dessus, entra dans le salon où elles se tenaient, un jeune homme brun, à la barbe rare, aux yeux rougis et brûlant d’un feu inquiétant, un jeune homme dont le prolongement naturel était un ordinateur relié à une souris posée sur un tapis de prières volant.
– Ramon, mon cher frère, je te présente Candida, une amie de l’ancien temps.
Pleine de bon sens, celle-ci en déduisit qu’il s’agissait du frère d’une des épouses de son mari. 
Ramon posa sur la jeune fille un regard incandescent.
– Cher Ramon, mon amie me parlait de l’intérêt d’exercer sa…liberté.
Cédéa cracha ce mot comme si c’était une obscénité.
– « Par Tridor, qu’il en soit ainsi à jamais ! », psalmodia le nouveau venu
Candida commençait à se sentir de trop dans ce décor de guimauve et de médiocre opérette. 
–  « Très chère Cand, sais-tu que tout bon Tridorien peut avoir cinq épouses et même plus? Je prierai tous les jours pour que mon souhait se réalise : veux-tu le connaître ? » demanda, mutine, la jeune femme sans tête.
– « Heu… oui »,  fit candidement Candida, se préparant tout de même au pire.
– « Je prierai pour que tu acceptes un jour d’être cette femme comblée, épanouie, protégée de TOUT et surtout de cette ignoble chose, l’exercice de la liberté, bref, d’être ma sœur...Déa et la 4ème épouse de mon mari à qui tu plairas certainement ! 
– Oh ! Quelle perspective attrayante, je vais sérieusement y réfléchir », souffla Candida, au bord du malaise.
– « Réfléchis, par Tridor, mais pas trop, ce n’est pas bon, surtout pour une femme ! », grinça Ramon, la face rougissante à l’idée de côtoyer tous les jours les courbes si voluptueuses de Candida.
Sans hésiter, la visiteuse dans sa candeur fit ce que détestait le plus son ancienne amie de classe, décérébrée, elle prit une décision : fuir ! Balbutiant des salutations inaudibles, elle se rua sur la porte d’entrée du majestueux hall, priant Tridor, Jupiter et toutes les Muses pour qu’elle ne soit pas verrouillée ! Sainte Clavis, patronne des serrures et des clés, l’exauça.
Dehors, les jambes flageolantes, elle s’appuya contre le mur de la propriété qui abritait tant de paisible bonheur et de complète aliénation. Elle murmura, le visage tourné vers le soleil et les yeux fermés, respirant à pleins poumons l’air revigorant de la rue de la Liberté : « Tom, tu as bien raison ! Que la vie est belle ! »
Mais on n'échappe pas à son destin ! Candida ignorait qu'un jour, en d'autres circonstances et lieu, elle deviendrait une des épouses d'un chef opulent et puissant.

20. En quelles circonstances Candida, fut otage, vendue, emprisonnée sous les Tropiques (AM)

Au mois d’avril, les parents de Candida – un bienfait n’est jamais perdu – héritèrent d’une vieille tante d’une coquette somme. Ils décidèrent de dépenser cet argent dans un voyage au bout du monde tant qu’à faire, et, après plusieurs heures passées sur Foogle, ils choisirent une petite île des Liphippines.
Candida s’était faite à l’idée que le Paradis devait ressembler aux images que deux témoins de Vagéoh étaient venus lui montrer quelques jours avant son départ, des palmiers et des fleurs tropicales sur un fond de mer émeraude et de ciel uniformément bleu avec des moutons gambadant dans l’herbe verte et des Blancs embrassant des Noirs ou même des Jaunes. Mais ici, au Romantic Beach Hôtel, le Paradis vous avait une autre allure avec sa piscine à débordement, ses parasols à franges et ses chaises réglables, longues et blanches. Candida en choisit une au hasard tandis que s’avançait vers elle, souple et mince, un jeune serveur souriant. Elle sentit alors son cœur déborder de reconnaissance envers la providence qui lui avait permis de connaître l’harmonieuse beauté du monde liphippin. Elle s’endormit, bercée par le bruissement métallique des feuilles de palmiers et la paisible respiration des vagues.
Des hurlements et le contact douloureux entre les omoplates d’une arme la réveillèrent en sursaut. Un quart de tour de tête lui fit voir qu’au bout de l’arme, il y avait un encagoulé. Il la fit lever, la traîna brutalement jusqu’au rivage et la jeta dans une banka, barque à balancier de ce pays, où elle retrouva une dizaine de clients de l’hôtel enlevés par d’autres cagoulés. Après une heure de navigation, les cris, les larmes et les prières des otages s’étant un peu apaisés, Candida apprit de son voisin d’infortune, un Felge entre deux âges, que ses ravisseurs étaient des partisans du groupe terroriste You Kaïdi dirigés par le redoutable Faigaf. Ils vont demander des rançons, dit le Felge, j’ai entendu dire que vous étiez de Sangerlie, ça va vous coûter bonbon ! – Il avait lu dans La Virgule un article sur les bourgeois de cette ville – « Je, je, je ne suis pas riche » risqua Candida, cherchant à s’échapper. Eh bien, ajouta le Felge, ils vous vendront, et cher, car vous êtes jeune et jolie. Candida n’eut pas le temps d’apprécier ce jugement car une vague énorme la jeta par-dessus bord, sa tête heurta le balancier et elle coula comme une pierre au fond de l’eau. Un des terroristes qui savait nager plongea pour la ramener à bord et lui fit reprendre vie grâce à une dégelée de claques vigoureuses.
Trempée, transie, étranglée d’angoisse, Candida passa en mer une nuit d’épouvante. Elle ressentit un soulagement lorsqu’à l’aube, elle aperçut la possibilité d’une île. À peine eut-elle débarqué sur un éboulis de roches glissantes au pied d’une montagne, qu’il fallut gravir, en file indienne, un sentier à peine tracé dans la jungle dont les plantes épineuses déchirant jambes et bras mettaient la chair à vif déjà dévorée par des bataillons de moustiques. La pluie s’était mise à tomber, une de ces pluies tropicales qui vous traversent jusqu’à la moelle. Une boue collante engloutit une des tongs de Candida qui bientôt perdit l’autre de la même façon…mais il fallait marcher sous peine de recevoir des coups de crosse dans les reins.
Enfin, après plusieurs heures de montée, les otages atteignirent une clairière où se trouvaient des sortes de cabanes en bois dans lesquelles les Poujadistes les enfermèrent à demi-morts de fatigue et de faim. Un des ravisseurs ordonna à Candida de se vêtir d’une longue robe sac ; ça me protégera au moins des moustiques, se dit-elle. Si elle ne fut pas violée comme les autres captives, c’est justement parce qu’elle était jeune et jolie et que ses ravisseurs espéraient en tirer un bon prix. En effet, arriva bientôt un jeune chef qui venait proposer des armes aux partisans de Faigaf. À travers la fente de sa robe couvrante, le chef aperçut les yeux de Candida et il les trouva les plus beaux du monde. Vendez-moi cette femme ordonna-t-il au chef, et je vous en donnerai quarante kalachnikovs. À quarante-cinq, plus les balles, la vente fut conclue et Candida s’envola avec son chef jusqu’à Kanama qui est, comme chacun sait, la capitale du Farein. Quelle chance, pensa la jeune captive, être achetée par un chef est tout de même moins éprouvant que d’être violée par une dizaine de terroristes liphippins. C’est ainsi que Candida devint la quatrième épouse du jeune Al Ferrari qui habitait, au vingtième étage d’un gratte-ciel un très joli appartement meublé de canapés en satin capitonné, équipé de robinets en or dans la douzaine de salles de bain. Les trois autres femmes d’Al Ferrari étaient des filles charmantes et Candida ne tarda pas à s’en faire des amies échangeant robes et bijoux et pouffant de rire en racontant les gâteries que leur prodiguait à tour de rôle l’homme qu’elles partageaient sans jalousie.
Et si on allait faire quelques courses place Denvôme ? dit un jour Al Ferrari qui était bon garçon. Les quatre épouses applaudirent à ce projet et Candida se retrouva au Glarton. Elle avait eu son compte de tajine, de kebab, de loukoums et autres cornes de gazelle. Ses parents l’air vivifiant de la forêt de Sangerlie et surtout sa liberté lui manquaient. Aussi loua-t-elle une voiture discrète qu’elle fit garer derrière l’hôtel. Mais son projet d’évasion avait été découvert par des agents de la sécurité intérieure – qui l’avaient mise sur écoute et la surveillaient jour et nuit. Ils avaient été alertés par un douanier de Voissy leur signalant la présence insolite d’une jeune femme parmi les épouses d’un chef étranger. Il n’avait pas fallu longtemps avant qu’un agent de la sécurité intérieure, plus éveillé que d’autres, ne découvrit qu’un des ancêtres de Candida, un certain Dominique Salmonetti, se trouvait être aussi l’ancêtre d’Ange Salmonetti, un trafiquant d’armes vivement recherché par la police. Ah ! Ah ! Salmonetti était donc le cousin de Candida ! Par-dessus le marché, on avait cru apercevoir un homme coiffé d’un keffieh en train de dîner avec Salmonetti dans un bar de la rue du Mas de la Tule. De là à penser qu’il s’agissait d’Al Ferrari et que Candida, son épouse et cousine de Salmonetti, était mêlée à l’affaire, il n’y avait qu’un saut de puce de chameau.
Candida ignorant tout de son cousin, se dirigea tranquillement vers Sangerlie et ce n’est qu’à la hauteur de Ralmaison qu’elle s’aperçut qu’une voiture grise la suivait. Elle accéléra, prit un virage à gauche sans ralentir, heurta un trottoir et vint s’encastrer dans le pilier d’un panneau marqué « Sens interdit ». Les deux agents de la sécurité intérieure la cueillirent sans ménagement et l’emmenèrent au poste où elle se trouva nez à nez avec son cousin corse dont elle fit ainsi la connaissance et qui lui fit comprendre qu’avec les relations qu’il avait, elle ne moisirait pas longtemps en prison. Comme la vie était bien faite !

Épilogue (CAD, SS)

Candida avait été profondément marquée par ses aventures ainsi que ses amis proches. Elle avait craint pour sa vie et avait été emprisonnée. Heureusement grâce à l’intervention d’un cousin si éloigné qu’elle n’en avait jamais entendu parler, elle venait d’être libérée.
Il était temps d'avoir une conversation sérieuse avec ses deux amis. Sébastien avait connu le désespoir d'apprendre les souffrances de sa chère Cand. Son amour pour elle était intact et il souhaitait vivre avec elle pour toujours. Dès qu'il apprit son retour, il se précipita chez elle avec un superbe bouquet de roses. Il lui signifia qu’il souhaitait de tout son cœur vivre avec elle. À ces mots, Candida ne se tint plus de joie, se jeta dans ses bras et pleura de bonheur. Elle s'était rendu compte qu'elle l'aimait aussi. Il l'avait toujours écoutée, aidée, et il avait composé une chanson pour qu'elle devienne chanteuse, tenté de retrouver sa mère biologique, bref, il méritait d'être l'élu de son cœur... D’ailleurs, il sut se faire apprécier de monsieur et madame Bécébéger.
Tom, fidèle à son optimisme inébranlable, fut ravi de retrouver son amie saine et sauve et ne pût s’empêcher de lui faire un petit couplet à sa façon : Malgré toutes les expériences traumatisantes – apprendre tardivement  ton adoption, être tombée dans les griffes de la secte mafieuse, avoir vécu un tremblement de terre et un tsunami, être prise en otage, être jetée en prison – tu es ici avec nous prête à vivre une vie nouvelle que je te souhaite pleine de bonheur.
Les trois amis connurent par la suite une vie calme et harmonieuse : Candida devint professeur de lettres, Sébastien ingénieur physicien et Tom psychologue. Les tourtereaux volèrent en justes noces, eurent deux enfants et roucoulèrent longtemps, longtemps…


* * *