1. Comment
Candida apprit que ses parents ne l’étaient pas tout à fait (FHD et IP)
Dans la 1ère décennie du XXIe siècle, dans l’ouest de Parici,
balayée par les vents atlantiques, une belle forêt respirait et jouxtait la
ville de Sangerlie où vivait la famille Bécébéger. Le père Richard, la mère
Béatrice et 2 filles.
Que faisaient-ils quand les sangliers labouraient la
forêt ? Ils dormaient, pardi ! Et quand les trains étaient supposés
respecter la cadence ? Richard avait sa propre officine et conseillait des
malades et des hypocondriaques toute la journée et leur vendait force
médicaments, liniments, onguents, excitants, calmants, dissolvants,
réconfortants, etc. Quant à Béatrice, elle enseignait les sciences au quotidien
à des collégiens qui la traitaient comme un chien mais avec des moyens
draconiens, elle assura son maintien tant que son pharmacien de mari et le
collège-lycée lui assurait leur soutien.
Au demeurant, c’était un établissement bien côté pour ses
résultats au bac et donc bien fréquenté par des familles BCBG et plutôt
friquées dont par discrétion ou laïcité, on nous prie de taire le nom, un saint
patron étant évoqué ou invoqué.
Les filles Bécébéger fréquentaient cet établissement.
L’aînée, une jeune fille d’apparence tout à fait banale et éprise, comme tous
les néophytes de la vie, de justice et de bons sentiments. Taille moyenne,
cheveux châtains, jeans « slim » et T-shirt juste au raz du nombril,
rien ne la distinguait de ses congénères. Si. Peut-être ses yeux. Ils
divergeaient quand elle était aux prises avec une décision difficile. Mais
qu’avait-elle de plus à décider que d’apprendre ses leçons de classe de seconde
aujourd’hui ou plus tard, porter sa montre blanche ou la bleue. Elle croyait
tout ce qu’on lui disait, c’est pourquoi elle se prénommait Candida. Elle
aimait la musique, le chant, les fringues, les pizzas, les garçons de sa classe
dont Sébastien, le fils du gardien de leur résidence, bien que ses parents
fussent réticents à leur fréquentation. Cette ado du haut de ses 16 ans avait
déjà ses 32 dents et mordait la vie. Elle avait aussi un budget pour les
cosmétiques, les films comiques, les périodiques, le matériel informatique et
téléphonique, elle était donc pudique et très peu pratique.
Tout était tranquille dans cette famille. En fait, le
trublion, c’était sa sœur, Suzie, la blondinette de 11 mois plus jeune qui
s’essoufflait à poursuivre ses études, c’est pourquoi elle avait un coach
attitré en la personne de Tom, jeune étudiant qui préparait une maîtrise en
neuro-psychologie potentielle que les parents avaient croisé dans l’escalier de
leur immeuble, vu qu’il y habitait dans une petite chambre à velux. Tom Bernitz
avait étudié plusieurs langues plus ou moins rares (de bois, de vipère) et la
philosophie d’un célèbre penseur allemand du 18e siècle dont il avait adopté le
leitmotiv : « La vie est belle » qu’il répétait au long des
jours. La famille Bécébéger était d’ailleurs certaine, qu’habitant la résidence
« Les Optimales » cela allait de soi. Candida demandait souvent
conseil à Tom – malgré les regards rageurs de sa sœur qui le voulait pour elle
seule – et avait fait sien son leitmotiv. La suite épisodique de ce qu’il lui
advint le démentira-t-il ?
Un soir où Candida ânonnait les règles d’accord des
participes passés, sa sœur déboula dans sa chambre sans crier gare. Tu ne me
crois pas ? Regarde. J’ai des preuves ! Elle agitait ses boucles
blondes acérées et des papiers, la frimousse satisfaite. Tu n’es pas ma
sœur ! cria-t-elle en jetant des papiers sur le bureau.
Candida haussa les épaules. Combien de temps restera-t-elle
aussi placide ?
2. Comment
Sébastien et Tom apprirent le secret de Candida (CAD)
Depuis la révélation de sa sœur Suzie, Candida était devenue
une autre personne. En fait, elle réalisait qu'elle ne s'appelait pas du tout
Bécébéger. Elle n'était ni la fille de Béatrice et Richard Bécébéger, ni la
sœur de Suzie. Elle était une autre personne, un ovni, un fantôme qui
n'existait pas ! Cette impression de vide était particulièrement désagréable et
Candida en était très affectée. Quelle histoire incroyable ! Avoir vécu seize
années en pensant être ce que l'on n'est pas ! Elle ne pouvait garder ce secret
pour elle seule. Elle s'empressa d'en avertir Sébastien. Elle chercha également
à joindre Tom qui pourrait la conseiller, mais il suivait un cours à
l'université de Parici XXXII.
Dès qu’il apprit la nouvelle, Sébastien lui dit :
« Oui je comprends, tu as envie de les mordre, de les boxer, de leur
aboyer dessus, mais tu dois rester calme. Tes parents sont sans doute fautifs
de t’avoir caché la vérité sur ta naissance. Ils t'aiment trop et peut-être
n'ont-t-ils pas su te parler franchement. Plus ils ont retardé le moment de te
révéler la vérité, plus ils ont eu peur de te faire souffrir. »
« C'est possible - répondit Candida - mais on m'a menti
depuis si longtemps. Mes parents, mes grands-parents, toute la famille était au
courant sauf moi, c’est nul ! Je me sens très mal dans ma peau et ne sais
comment réagir. En t'attendant, j'ai surfé sur le net et ai trouvé des dizaines
de forum sur le sujet je viens
d'apprendre que j'avais été adopté. Eh bien, j'ai pu constater qu'il y
avait des centaines de témoignages de jeunes dans mon cas. Certains dépriment
grave. Certains mettent les voiles, la rage au cœur. D'autres font des TS.
D'autres - les moins nombreux - s'en moquent. Quant à moi, je n'ai jamais connu
une situation aussi reloue. »
Tom, revenu de son université, fut lui aussi mis dans la
confidence. Il trouva Candida fort agitée. « Calmos, muchacha !
Écoute, c’est une affaire très particulière et fort intéressante sur le plan
affectif, dit-il doctement. J'ai suivi des cours sur ce sujet. Tes parents
t'aiment tellement qu'ils sont incapables de t'avouer qu'ils ne sont pas tes
parents biologiques. Ils t'ont acceptée comme leur fille et pour eux, c'était
impossible de te dire la vérité. Il ne faut pas leur en vouloir. Tu dois
discuter avec eux et cela renforcera vos liens. Candida, tu as une merveilleuse
famille et ta vie est belle ». Candida remercia ses deux amis pour ces
conseils apaisants et reprit sa vie de lycéenne comme si de rien n’était.
3. De
la méthode expérimentale appliquée à Candida (FL)
L’on était alors tout entiché de psychologisme,
sociologisme, déterminisme, tautologismes, d’obédiences tant diverses
qu’innombrables.
Cela FAISAIT SENS.
Il fallait SENSIBILISER la jeunesse, l’ouvrir au vertigineux
champ du monde mental, l’instruire des humeurs, dérives, poussées, pulsions de
l’étrange mécanique humaine. Bref, il fallait étudier le système nerveux pour
le stimuler.
C’était un commencement.
L’université recommandant hautement la pratique
expérimentale, Candida se retrouva avec sa classe de 2nd 4 confrontée sur la
paillasse à un bizarre petit homoncule gris à longs membres élastiques. C’est
sa camarade, Aphrodite, qui entreprit avec une délectation singulière
d’inciser, ouvrir, épeaucer distendre, éviscérer, écarteler, fixer….le petit
être musculeux, écorché en même temps que ses congénères plus chanceux
coassaient voluptueusement dans l’aquarium du labo.
Candida prit le relais. Il fallait, d’un scalpel précis,
exercer le STIMULI, indiqué par Sulfamide, le docte maître ès sciences de la
Vie et de la Terre (!) à voix de contrebasse.
Chacun écouta avec approbation.
On stimula.
Ce furent alors tressautements, vibrations, spasmes,
trépidations, secousses, horrifiques convulsions. Candida avait vu bien des
choses à la télé. Mais, là, tétanisée, elle sentit un tsunami nauséeux la
submerger puis s’évanouit dans un grand fracas de tabourets brisés. Ce fut
l’émoi. Après le système nerveux de la grenouille, il fallait urgemment
examiner celui de cette andouille. Aphrodite s’y employa avec énergie :
une belle baffe mouillée ressuscita notre sensible sensibilisée qu’on emmena
respirer dans le couloir.
Sur ce, Sulfamide conclut sobrement de l’efficacité de la
méthode de stimuli.
C’est ainsi que Aphrodite vit s’ouvrir devant elle un avenir
prometteur dans le domaine des sciences de la physiologie tant animale
qu’humaine répétant le refrain de son amie que, après tout, la vie était belle
dans le meilleur des mondes expérimentaux.
4. Quand
Candida chanteuse s’envola vers la notoriété
Derrière le rideau sombre de la scène, Candida et ses
musiciens se tiennent la main, le cœur battant. C’est leur première scène.
Ils tentent le bœuf du jeudi soir dans « l’asso » comme
ils disent à Sangerlie, c’est-à-dire la Serrure. Et là derrière le rideau ils
entendent leur nom Acédie…c’est à vous.
Ils pénètrent dans la lumière, pour s’ouvrir au monde de la
reconnaissance de cette musique qu’ils ont dans les tripes comme beaucoup de
jeunes de 16 ans.
Avant, Candida cachait ce don ne supportant pas son propre
frisson dans le déroulé des vocalises. Puis dans sa classe, elle s’était
retrouvée à vivre l’expérience de monter ce groupe. Tout au bonheur d’être
portée par cet élan d’y croire. Jusqu’à ce premier soir à la Serrure.
Dans sa fraîcheur, Candida, sort de la dissonance de
l’enfance pour poser sa propre mélodie. En elle-même elle se dit :
– Oui …
– Oui, au partage de sa voix de cristal.
– Oui, à se montrer dans sa fragilité … et sa force.
– Oui, à chanter ses propres textes ambitieux,
savoureux, sulfureux.
– Oui, à braver tous les regards, tous les égards, tous
les hagards.
Enfin, elle se dit oui à elle-même.
Le micro en main elle se lance dans l’harmonie des notes.
Les yeux clos. Éblouie par les spots, elle regarde défiler sous ses paupières
les notes sur les portées l’emporter. Elle lance au ciel les mots mêlés, de son
sang et de sons. Le ton monte. Sa voix la vrille, la trille, la vibre.
Dans le grand silence suivi d’un flot d’applaudissements,
elle ouvre les yeux, toujours sans sourire, dans la surprise. Enfin, elle est
reconnue dans sa part intérieure qui se dévoile dans ses vocalises funambules.
Un homme dès sa sortie de scène « l’alpague » avec son
accent du sud, lui propose samedi de faire sa première partie dans la même
asso. Mais cette fois c’est sur la grande scène du bas. Elle le regarde
abasourdie. L’entend à peine, car lui, là, ce type, petit chapeau « style »,
vissé sur le crâne, elle l’a dans son MP3, elle l’a dans sa « zik », elle l’a
dans ses poils qui se dressent sur les bras quand il roule suave le temps de la
musique de ses oreilles à sa peau. Elle est fan, c’est son idole.
Elle lui dit oui. Son pouls explose.
Le samedi arrive.
Il est là dans le backstage.
Elle aussi, elle le dévore des yeux, le regard baissé.
Il s’approche. En chantonnant au plus près, il lui donne un
sourire glissant jusqu’à l’indicible.
Il rit devant son trouble et d’une tape sur les fesses la
propulse sur la scène. Dynamisée … dynamitée, elle se donne au public. Sa voix
skate de l’aigu roulé au grave du rauque.
Elle fait le show dans sa robe légère de coquelicot épanoui.
Elle se dévoile. La salle en demande encore et encore.
Bien plus tard au creux de la nuit l’artiste en titre entre
dans sa loge, car il a décidé qu’elle lui céderait là ce soir … Elle ne doit sa
résistance qu’à sa candeur.
Elle ne veut parler que de musique, d’octave, de puissance,
de pianissimo…
Il en reste interdit et s’en va en claquant la porte. La
laissant étonnée soudain la gorge toute fermée.
Pourtant, ce soir-là, l’étincelle de joie et de voix qu’elle
est, a été repérée. Les magazines spécialisés en parlent, sous les flashs, elle
fait la une de certaines émissions télé.
La voilà d’un coup sous le grand projecteur de la vitesse
lumière, qui la danse, la propulse jusqu’à devenir en quelques semaines la
première partie de la grande scène du méga festival de musique de Parici « les
polidays ». Ces jours et ses nuits là, sans plus aucune minute pour elle, elle
a chanté, répété, couru avec pourtant un grain de sable sur la peau, celui de
sa distance, ce fameux soir-là, à son idole.
Elle est restée droite. Comme toujours debout derrière la
porte qu’il a claquée … son innocence plein les bras. C’est grâce à lui qu’elle
est là, où lui n’est pas, ce soir devant cette foule.
Elle est une artiste. Elle se racle la gorge, c’est sa
grande première. Cette première en ouvre une autre. Comme dans ses écrits, elle
imagine l’unique grand amour … « un inguérissable attrait de la soif et de
l’eau ».
En contre-jour derrière le rideau, le micro en main serré
d’une poigne de femme, dans sa robe légère de coquelicot défleuri ; le
regard dans la buée des yeux du public ; elle se lance sur scène propulsée
dans le sanglot de la foudre…
… la foudre de la petite claque sur les fesses la faisant
virevolter sur la lumière des projecteurs.
5. En
quelles circonstances Candida reçu une aide… intéressée (IP)
Candida avait gagné le concours des espoirs de la chanson de
Sangerlie. Sébastien ruminait dans sa chambre. Douces et sombres pensées
mêlées. Il était content pour elle bien sûr mais ne trouvait pas cette nouvelle
situation confortable. La teneur de ses cogitations était, à peu près, la suivante :
Ah ma Candida ! Ton sourcil gauche. Ton accent
circonflexe coquin que les épilations savantes n’arrivent même pas à rectifier.
Ce charme rebelle à l’harmonie. Il donne une coloration perpétuellement étonnée
à ton regard. Ils ont voulu le gommer, supprimer ta singularité piquante au
maquillage. Ils n'y sont pas arrivés. Sous les spots, je distinguais toujours
ton air de ne pas y croire. Tu ne le montrais pas avec ton visage fardé en
plaqué sourire. Tu te demandais pourtant ce que tu faisais là, à susurrer des
mots qui ne te ressemblent pas.
Le public ne savait pas décoder ce que signifie ce léger
écarquillement de tes yeux qui se termine par un imperceptible plissement de ta
peau et se divise en fines ridules. Tu as décelé le décalage et en a été troublée,
agacée. Tu as conscience qu’ils ont essayé de te façonner, de domestiquer ton
esprit rebelle, de te faire poupée passe-partout. Tu t'es laissée faire. Candi,
oh ma Candida. Reviens-moi. Comme avant. Oublie les lumières qui t'éblouissent
et te vont si mal. Reconnais-toi. Candi, oh ma Candida. Comment puis-je
t’aider ?
Inspiré, Sébastien se mit alors à l’ouvrage.
Deux jours plus tard, il l’invita dans la loge après les
cours. [Ici, rappelle-toi, lecteur, que la mère de Sébastien est la gardienne
de l’immeuble.]
Ma Candi, mon sucre tout doux, tout roux. Mon caramel à moi.
Ma mélasse, mon collant jamais assez poisseux. Mon chewing-gum. Ma bulle qui
claque. Mon machouillis auquel je trouve toujours du goût. Ma glu adorée. Ma
colle qui sèche trop vite et se sépare de moi tout le temps. Ah ma Candi. Tu
rêves de lumière et de gloire. Mon cœur s’est serré quand j'ai vu ce salaud de
producteur te taper sur les fesses. Mon adorée et trouble mélange, je ne veux
plus qu'une telle chose se reproduise. Je serai ton paravent, ton trampoline,
ton impresario ma Candi. Mon sucre d'orge, je ne te laisserai plus les
affronter seule ce monde glauque qui veut faire de l'argent sur ton innocence.
Candi, puisque tu aimes la scène, j'ai composé pour toi une chanson.
Sébastien mit un fond musical et se mit à fredonner. Bouche
bée, Candida écoutait son copain.
Candida ah
ah ah ah
Candida ah
ah ah ah
Candida ah ah ah ah
Tu vis à Sangerlie
Dans une famille sans tracas
Pas du tout de soucis
Candida ah
ah ah ah
Candida ah
ah ah ah
Et voilà qu’à 16 ans
Ta vie se remplit
d’un tas d’événements
Et tes lèvres sourient
Candida ah
ah ah ah
Candida ah
ah ah ah
Les questions foisonnent
Doucement tu frissonnes
Tu lis dans les nuages
Et au Japon tu voyages
Candida ah
ah ah ah
Candida ah
ah ah ah
Les rêves parfument
La boue à tes pieds
Tes yeux s’allument
De mots par milliers
Candida ah
ah ah ah
Candida ah
ah ah ah.
Candida s’approcha doucement de Sébastien et lui déposa un
rapide baiser sur la joue gauche. Super, Seb. Je connais l’air. Ma mère passait
ce vieux CD quand j’étais petite. Il me dit vaguement quelque chose. Les
paroles sont gentilles. Mais le monde du spectacle, c’est terminé pour moi. Il
faut se coucher trop tard. J'ai besoin de dormir. Ce n'est pas vraiment
compatible avec les études, même s'ils m'ont vaguement dit que je pourrai
prendre des cours par correspondance. Et je ne veux pas être jetée au bout de
deux ou trois ans quand le public et les médias se seront lassés de m'entendre.
J'ai dit non à la tournée sur les plages cet été. Allez, on a des exercices de
math à terminer. Comme dirait Tom : « La vie est belle ».
Voilà comment se termina la brève apparition de Candida dans
le monde de la chanson, et la tentative de Sébastien pour l’épauler.
6. Candida
à la recherche d’un gourou (FHD)
Il est bien gentil Sébastien de me susurrer des mots doux,
se disait Candida en se limant les ongles, mais sa chansonnette ne vaut pas un
clou et puis je fais ce que je veux, non mais !
À vrai dire, après les spots dans les yeux, les rythmes
tonitruants, elle se sentait complètement abasourdie, les applaudissements
l’avaient grisée et sans vouloir l’avouer, surtout pas à Sébastien qui s’était
moqué d’elle, elle cherchait sa voie. La révélation de Suzie lui faisait
échafauder des scenarii : suis-je orpheline ? Si oui, qu’est-il
arrivé à mes parents ? Ont-ils eu un accident ? Sont-ils morts ?
Ai-je une mère bio ? Comment ai-je été conçue ? In vitro ? Si
mes vrais parents sont vivants, où sont-ils ? Pourquoi m’ont-ils
abandonnée ? … Une kyrielle de questions la torturait.
Elle se sentait seule en arpentant les rues de Sangerlie
après avoir, encore une fois, séché ses cours et ses larmes. Comment
allait-elle justifier cette nouvelle absence ? Si le proviseur me demande un
mot d’excuse, je dirai que je l’ai perdu. C’est moi qui suis perdue, perdue
sans parents. Elle releva le nez qu’elle avait sur ses baskets comme le moral
dans ses chaussettes. À cet instant de désespérance absolue, sur un panneau
d’affichage, elle lut :
« Gourou KIVOITOU, voyant, medium, résout TOUT CAS
DESESPERE : AMOUR AFFECTIF, DIVORCE EN FORCE, PROBLEMES FAMILIAUX, CHANCE
AU CASINO, RETROUVAILLES RAPIDES, REUSSITE EXAMEN ».
Elle décida de lui téléphoner sur le champ. La voix était
posée et lui fixa rendez-vous pour le soir même.
C’était dans une petite rue, près du boulevard Mégalobol,
dans un quartier paricien exotique, coloré et avec une animation à laquelle
Candida n’était pas habituée, elle grimpa les 7 étages, le cœur à la chamade,
pas de sonnette, elle frappa, entendit une langue inconnue et un grand
vieillard noir enturbanné la pria de s’asseoir sur un pouf en cuir. La pièce
était faiblement éclairée mais les yeux du gourou, lumineux d’intelligence, de
sagesse et de perspicacité rassurèrent la jeune fille. « Qu’est-ce qui
vous tourmente ma-de-moi-selle ? Elle lui confia le mystère non élucidé de
sa naissance. Je comprends que c’est un grand problème pour vous mais - il
clignait des yeux cherchant dans un au-delà les justes paroles - il y a une
personne de votre entourage qui vous donnera une piste très prochainement, ce
sera loin de chez vous. A-pprê-tez-vous à partir au-delà des mers. C’est tout
ce que peux vous dire ce soir. » Il se leva, la pria de mettre
l’équivalent d’un billet vert dans une moitié de calebasse et ce fut tout. Glup !
C’était tout l’argent de poche mensuel de Candida ! Tant pis se dit-elle,
rassérénée, adieu pots et ciné avec les copains, fraises Tigidi et vernis à
ongles.
Elle était si heureuse de cet oracle, en redescendant les
étages qu’elle faillit rater une marche. Elle se rattrapa à la main courante et
sortit en courant vers la station de train en se murmurant que la vie était
belle. Je vais voyager où ?
7. Comment
Candida s’initia aux effets de l’occultisme (FL)
Le lendemain, tout juste remise de cette étrange – quoique boostante
– expérience, Candida plutôt que de rentrer, se proposa de passer à la
pharmacie soumettre son cas au sage jugement de son père.
Il était encore tôt aussi se retrouva-t-elle dans la réserve
à bavarder en tête à tête avec Nafy – la femme de ménage – en attendant
l’ouverture. Cette martiniquaise, toujours généreuse, l’accueillit avec
exubérance et lui confia qu’elle guettait depuis longtemps ce moment de
confidence. Ma Cand’, ma tout’ belle, tou as le Don, tou l’as … Je te le dis,
le Don, celui de la DIVINÂÂTION ! Ce que ta mè’ appelle ta coquett’ie, et ton
pè’ ton st’ouabisme ??? … mais c’est ton t’oisième œil ! Celui qui voâ ce que
les aut’ ne voâent pas ... ils ne voâent ‘ien. Mais toi, viens, donne-moi ta
main… Oh! Oh ! exulta Candida elle me dit la même chose que mon gourou.
Elle fila au lycée, où elle exerça derechef son bel art tout
neuf de la chiromancie divinatoire auprès de Carmela, Cérès, Antonia et
Aphrodite… Et puis vinrent la consulter Léon, Archibald et presque tous les
garçons de la classe. Dans la semaine, TWEET, SMS, FACEBOOK, RESEAUX SOCIAUX…
firent tant et tant que la rumeur gonfla, enfla, explosa pour s’étendre d’abord
à tout le lycée, puis à la ville et bien davantage. Même le pragmatique
Sulfamide jugea bon d’évoquer en classe le grand mystère de l’inconnu, des
ailleurs, de la para-normalité, de l’occultisme, des ondes télépathiques et des
insoupçonnés potentiels cérébraux...sans doute immenses. Aphrodite en était
toute chose. Elle se mit à considérer Candida d’un œil neuf, presque
respectueux.
Candida s’amusait ferme : ligne de cœur, ligne de vie,
ligne de chance. Elle les décryptait, brodait, supputait avec une aisance de
vieille professionnelle de la boule de cristal. Un talent qui lui valait même
la curiosité un peu gênée de certains professeurs : monsieur Muscle, le
prof de gym lui soumit sa gauche en riant jaunâtre, les copines en bégayaient
de jalousie.
Cand-oracle, Cand-voyante, Cand-extralucide.
On la prenait au sérieux.
Sa mère la mit en garde sur les regrettables effets de cette
prenante activité sur ses notes de math. Pour y remédier, Candida – toujours
positive – jura de consacrer son prochain week-end dans le petit manoir
familial, en Normandie, à de studieuses révisions.
Mais au retour, après les ralentissements de l’autoroute,
quelle ne fut pas la fureur de son père de découvrir d’énormes embouteillages
au Vel Air. Rue du Tampon c’était l’émeute. Une foule démesurée de jeunes
dévots attendaient leur devineresse. C’était un enchevêtrement de mobs,
voitures, vélos. Un vrai déferlement de fans. Il y avait des canettes, des
joints, de la musique, beaucoup trop de bruit pour le voisinage inquiet …La
police intervint. Candida et ses parents extrêmement embarrassés prirent la
tangente pour se réfugier à la pharmacie et faire le point. On laisserait faire
la maréchaussée et on ferait profil (Facebook) bas.
Et la vie continuerait d’être belle dans le meilleur des
mondes connectés à l’au-delà des jeux de mains.
8. Pourquoi
Candida réitéra ses rendez-vous chez Mme Surmoi (CAD)
Trop, c’est trop ! Candida avait subi ces dernières
semaines de multiples événements qui avaient perturbé sa vie tranquille de
lycéenne. Apprendre à seize ans que vos parents vous ont adoptée puis quelques
jours plus tard entamer une carrière de chanteuse immédiatement reconnue dans
de nombreux médias, découvrir ses dons de divination, son succès, ses fans sur
l’internet, cela peut perturber une jeune fille sensible. Fièrement,
Candida avait pris sur elle de tout accepter sans rien dire.
La révélation du secret de sa naissance, contrairement à ce
qu’elle avait affirmé à ses amis Sébastien et Tom, l’avait profondément
troublée. Pendant quelques semaines, ce choc psychologique avait été en partie
amorti par ses nombreuses prestations de chanteuse, en particulier sa tournée
avec un artiste de renom. Elle avait à toute allure mordu la vie à pleines
dents mais en avait une contre ses parents et elle était déçue de son
expérience d’artiste. Tout se brouillait dans sa tête. Confinée à la maison
après ses cours au lieu d’aller au café avec ses camarades, elle broyait du
noir. Elle ne dormait plus, pleurait souvent, ne pouvait être zen. Ses parents
le voyaient bien qui se sentaient coupables de son mal-être. Son père Richard
qui, en tant que pharmacien, connaissait quasiment tous les professionnels de
santé de la ville de Sangerlie lui recommanda de prendre rendez-vous avec
Sabine Surmoi, une psychothérapeute.
La première séance se passa pour le mieux. Madame Surmoi lui
expliqua les causes de ses tourments. Elle devint son mentor et persuada
Candida de revenir. Plusieurs rendez-vous suivirent. Candida peu à peu se
sentit plus sûre d'elle-même. Bien entendu, elle savait que ses blessures ne se
refermeraient pas de sitôt. La meilleure thérapie pour elle fut de se lancer à
fond dans ses études délaissées. Sa moyenne avait tant chuté ces dernières
semaines que ses professeurs envisageaient un redoublement. Redoubler lorsque
sa mère est prof dans le même établissement….Elle ne voulait pas se payer la
honte !
Candida fit une nouvelle fois appel à son cher Sébastien
pour les maths. Chaque soir et chaque week-end, elle demanda à sa mère de
l'aider pour le français, les langues et les sciences. C'est ainsi que ses
résultats scolaires s'améliorèrent et ses parents eurent la bonne surprise en
lisant son carnet de notes d'apprendre qu'elle se situait désormais dans le
peloton de tête de sa classe ! Elle ne pédalait plus dans le yaourt !
9. Comment
Candida passa en boucle sur Planet TV (JV)
Candida, ce matin-là, se promenait joyeusement dans Parici,
allant de A à B et de B à C, l’espace entre ces lieux étant ponctué de haltes
dans les échoppes qui proposaient de jolies robes à prix réduits ; on
était en janvier et à pareille période, tout objet vendu 100 pendant 11 mois
est alors vendu 50, puis 30, sans que l’objet en question ne fut pour autant
fabriqué dans un pays encore plus pauvre qu’auparavant ! Amusant,
non ?
Comme sa « mère » lui avait demandé de lui
acheter un pot de Promesse de fermeté
de chez Croizi, Candida, en fit l'acquisition dès son entrée dans le grand
bazar portant nom de Galeries et reçut un bon de réduction pour une séance dans
un salon d'esthétique. Une grande heure plus tard, toute chargée de sacs
colorés, elle aperçut sur le sol près de l’entrée Sud une babouche abandonnée
et en fut étonnée. Ah mais quel désordre, pensa-t-elle, les gens sont d'une
négligence ! Elle fit signe à l'homme de sécurité en faction, juste à
côté, un grand et large citoyen Ivoirien, blazer bleu et talkie-walkie en ordre
de marche, lequel appliqua avec zèle les consignes : objet babouche louche
abandonné non identifié, rez-de-chaussée, Porte Sud, près du rayon Fanfreluches
dit-il. Son supérieur, tout aussi zélé donna l'alerte à toutes les équipes et
appela le Commissariat le plus proche ; un inspecteur stagiaire, encore
mal réveillé, passa le message à son chef : « On a un objet suspect louche
aux Galeries, une babouche fanfreluche ou quelque chose de ce genre » Il lui
fut répondu : Quoi ? Colis suspect louche, origine orientale avérée, demandez
l’évacuation du magasin !
Quatre minutes plus tard, la panique régnait aux Galeries,
les hommes à large cou et blazer bleu tendant d’endiguer le flot des
clients se ruant vers les sorties, suite à l’annonce faite dans les hauts
parleurs : « Babouche suspecte piégée à la fanfreluche louche
identifiée, merci à tous d’évacuer le magasin ». En plus, un enfant
avait, par curiosité, à ce moment précis, ouvert la boîte contenant un
défibrillateur et une puissante alarme s’était déclenchée. Puis, tout le monde
ou presque s’était mis à crier. Pourquoi crier me direz-vous ? Je ne sais
pas vous répondrai-je.
Candida, quant à elle, avait réagi à cette vague
d’adrénaline en se cachant dans une cabine d’essayage, pensant qu’il s’agissait
d’un hold-up. Elle tira le rideau, monta sur un petit tabouret et se figea,
dissimulée en cet endroit désormais déserté. Quelques minutes plus tard, un
silence de plomb s’abattit dans le magasin, vidé de toute présence humaine et
verrouillé de l’extérieur. La jeune fille, surprise du calme inhabituel,
commença à douter de la véracité de la maxime de Tom. La vie était-elle
belle ? Y avait-il un danger réel ?
Les Galeries furent bientôt le centre d’un vaste périmètre
de sécurité, le métro fut arrêté, le train bloqué jusqu’à Parne-la-Vallée, la
production de pétards à mèche interdite par décret et les avions ne décollèrent
plus de Voissy, ni de Xyon. À Frest, le tarmac fut aussi mis en veille totale.
29 camions de pompiers, 18 cars de police, trois brigades de chasseurs alpins
et 22 commandos de Marine, la fanfare de la Garde et un légionnaire en
permission réquisitionné furent positionnés autour du magasin, sans compter un
porte-avions placé en rade de Foulon, tous les chasseurs Bafale armant leurs
missiles. Les usines de production de jambon et d’andouille salée renvoyèrent
leurs employés en RTT obligatoires par prudence.
Ayant bien pesé ceci et cela, Candida se dirigea, vers une
sortie, avec le plus de naturel possible bien qu’il n’y ait personne pour voir
son air dégagé. Si elle avait allumé son téléphone portable, elle aurait vu ses
157 SMS non lus et 99 appels en absence. En effet, les chaînes d’information en
continu l’avaient identifiée comme étant restée dans le magasin, seule face à
la babouche suspecte et louche !! Son nom tournait en boucle sur tous les
écrans et résonnait dans tous les flashes d’information. On craignait le pire
pour elle, sa rubrique nécrologique était quasiment rédigée dans La Terre.
Toc toc toc sur la porte de verre. Celle-ci promptement
déverrouillée s’ouvrit et de puissantes lumières se braquèrent sur la jeune
femme, ainsi que les canons de 42 snipers postés sur les toits du voisinage.
Candida aperçut une forêt de caméras et de micros qui se tendirent vers
elle. Si vous voulez, je vais vous chercher la babouche proposa-t-elle
aux journalistes inquiets qui assaillaient de questions celle que l’on appelait
déjà « la survivante des Galeries » ou encore « l’otage du colis
louche babouche »
Mais elle n’en eut pas le temps, car 18 hommes des forces
d’interventions spéciales, lourdement armés étaient déjà entrés en trombe et en
train de faire sauter l’objet terrifiant et menaçant la ville entière.
Invitée du Journal de 20h00, Candida parla de son expérience
avec courage. Elle fut reçue par le maire le lendemain et décorée de la
Médaille de la Ville de Parici. Enfin, les Galeries lui offrirent un bon
d’achat de 4€90 à valoir sur n’importe quel article (sauf marqué d’un point
rouge ou vert car déjà soldé). L’héroïne du jour rentra ensuite à Sangerlie et
fut accueillie par une émouvante réception à la Mairie.
10. Pourquoi
Candida se mit à fréquenter les salons de beauté (FHD)
Lors d’un achat d’un petit pot de crème pour sa mère,
Candida se vit remettre un bon de réduction pour un soin du visage exclusif
chez Soibelle. Son miroir repéra quelques points noirs aussi se décida-t-elle à
prendre rendez-vous. Le jour fixé, elle fut conduite, après la traversée de la
boutique où les parfums se mêlaient jusqu’à l’écœurement, dans une petite salle
d’attente aveugle - l’espace coûte cher -, grise, minimaliste, à la lumière
tamisée diffusée par une bougie parfumée à l’encens. L’hôtesse qui l’y avait
conduite, toute de noir vêtue, chevelure dissymétrique et ongles laqués
anthracite, lui proposa une boisson chaude. Un instant plus tard, la nouvelle
cliente assise sur une coque de plastique aspirait à petites gorgées un liquide
brûlant et indéfinissable servi en gobelet. Candida n’eut guère le temps de se
demander si elle allait en enfer ou au paradis, car elle fut invitée à entrer
dans le sein des seins (sic), à enfiler un peignoir immaculé brodé Institut
Soibelle et à s’étendre sur une table d’opération ; l’esthéticienne parut
et d’une main experte commença à appliquer le programme désincrustant–boostant
tout ce que vous voulez, essentiellement votre ego : un gommage ravala
tout l’amour-sale de la jeune fille suivi de l’extraction des points noirs de
sa vie-sage, puis d’applications de différents onguents texturés et gorgés à
l’anti-tout et enfin un masque aux zerbes de zébu qui obtura tous ses pores
jusqu’à suffocation.
L’adage « il faut souffrir pour être belle »,
bien connu de Candida l’aida à supporter vaillamment toutes ces étapes, en
plus, elle le valait bien. Elle sortit épilée, pressurée, labourée, hydratée,
pommadée, maquillée, poudrée, et presque embaumée, le porte-monnaie soulagé
d’une centaine d’euros et gonflé d’une carte de fidélité. Comme sa psyché lui
confirma que ses valises suboculaires étaient réduites au profit de paquets de
mascara-charbon et que le rouge-sang, dernier cri de cet hiver bestial, collait
ses lèvres, elle pensa, que son naturel étant potentialisé, elle pourrait
concurrencer Aphrodite et qu’elle ferait fondre Sébastien. Elle le bipa et
celui-ci la rejoignit promptement avec Tom sur ses talons qui, à la vue de
cette transformation psychédélique, s’exclama selon son
habitude. « La vie est belle ! » Puis Sébastien
ajouta : « Oh, oh, tu ne nous as pas dit que nous allions à un
carnaval ! » Ce qui la vexa pour longtemps.
11. Comment
Candida rencontra une fameuse artiste et se fit jeter en prison (MD)
Candida se demandait si Tom avait raison, en tout ou partie,
de penser que la vie était belle. L’inaction lui semblait être la dernière
solution aux maux qui s’abattaient sur le monde. Encore moins une possibilité
d’atteindre ses projets de voyage ou artistiques et de retrouver son bien-aimé
Sébastien.
Cependant qu’elle philosophait ainsi, dans une galerie
d’art, ses pas la portèrent au-devant d’une sculpture tout à fait étrange aux
formes généreuses et couverte de couleurs vives. Elle s’arrêta pour l’admirer,
car elle lui flattait l’œil. Le créateur avait signé Nick von Fall. Prenant
informations aux alentours, elle apprit que se tenait à Parici une expo des
chefs-d’œuvre de l’artiste. Elle s’y rendit sans plus attendre. Ce qu’elle vit
finit de la convaincre que l’art est un moyen d’expression majeur et qu’elle
avait toute raison de vouloir le faire sien.
Une jeune femme aux allures peu communes : tête
bouclée, boucles d’oreilles dansantes, boucle de ceinture étincelante et
bottines cloutées et vêtue de tissus aussi chatoyants que les sculptures
alentours, l’aborda. Elle se présenta : elle était la petite-fille de
l’artiste et se prénommait Fleur.
Candida fut aussitôt ravie de cette rencontre. Elles eurent
une longue conversation sur l’aïeule de Fleur et sur le projet qu’elle avait
mené toute sa vie : porter la condition féminine à sa juste valeur contre
les brutes misogynes de son époque. Notre héroïne conclut de cet entretien
qu’il suffisait d’avoir expérimenté la philosophie de l’inaction pour le
moment. Il était temps de voir si l’opposé ne valait pas mieux. Fleur expliqua
promptement à Candida qu’elle avait constitué un petit groupe qui s’appelait
Femelles et embrassait le dessein de son aïeule. Candida décida de les suivre
lors de leur déambulation pour réclamation de droit. La seule condition était
de dévoiler la blancheur de sa gorge. Ce qu’elle fit aussitôt.
Candida et Fleur marchaient dans Parici avec les Femelles,
leur poitrine largement dénudée et le poing hautement levé, quand des brutes de
la garde des bonnes mœurs les contraignirent à se couvrir et les jetèrent dans
un panier à moteur et à roues où elles furent secouées comme des salades
et les débarquèrent au commissariat.
Dans quel bourbier m’a jetée cette action, se lamenta alors
Candida. Je n’ai rien fait de mal, j’ai appris beaucoup de Nick von Fall et de
l’expression artistique. Je n’ai rien fait de mal, j’ai rencontré Fleur, dont
le but est tout à fait louable. Et pourtant, j’ai été arrêtée et me voilà
maintenant au poste. Quand reverrai-je mes amis ? Est-ce que Sébastien va
m’engueuler ? Se peut-il que le coach de ma sœur ait vraiment raison de
croire que la vie est belle ? Ah quel malheur de ne point savoir quelle
philosophie adopter !
12. Pourquoi Candida reçut une admonestation de
ses parents (CAD)
C’était dimanche, quelques jours après le petit séjour au
commissariat, il faisait beau, l’air était frais, le vent léger. Monsieur et
Madame Bécébéger proposèrent une promenade dans le parc de Sangerlie. Le
paysage charmant du lieu favorisait les confidences. Ils prirent place sur un
banc de pierre le long du jardin anglais.
Béatrice et Richard comptaient bien faire quelques
remontrances à leur fille et s’étaient mis d’accord sur les griefs à mettre en
avant.
Richard prononça d'une voix sévère les phrases suivantes :
« Chère fille, tu as toujours fait ce que tu voulais. Nous t'avons aidé à
réussir tes études secondaires. Après avoir vu l'exposition, tu as suivi la
première venue pour aller manifester avec les Femelles. Tu ne connais même pas
les idées de ce groupe. Et tu te promènes à moitié nue dans les rues sans
savoir vraiment pourquoi. Décidément, tu es beaucoup trop naïve, tu manques de
jugeote. Quelle honte pour nous d'avoir été appelés par le commissaire de
police pour nous avertir que tu étais au poste comme une délinquante !
J'espère que tu te rends compte de ta stupidité. Heureusement que tu es encore
mineure sinon tu aurais pu être mise en garde à vue. »
Béatrice ajouta : « Il faudrait que tu aies un peu
de plomb dans la tête et que tu agisses désormais avec réflexion et méthode. Il
ne faut pas faire aveuglément confiance à n’importe qui. Tu as commis une
grosse bêtise et nous nous demandons si nous pouvons te faire confiance à
l’avenir. Richard continua. À partir de maintenant tu gagneras ton argent de
poche, tu financeras tes voyages et surtout tu nous diras chez qui tu vas et,
le soir, tu rentreras à minuit dernière limite. »
C’était la première fois que Candida se faisait ainsi
admonester par ses parents. De grosses larmes coulaient le long de ses joues.
Elles traduisaient sa honte et sa tristesse. Elle ne pouvait prononcer une
parole et ne savait comment réagir. Elle se mit alors en mode veille
Ses parents alors, remplis de compassion la prirent dans
leurs bras et Candida, comme le corbeau de La Fontaine, jura qu’on ne l’y
prendrait plus et que la vie serait belle !
13. Comment
Candida obéit aux diktats des médias (FHD)
Gavée de spots pubs, Candida but d’un trait son verre de
lait puisque, pour se sentir au mieux de sa forme, il est conseillé de
consommer des produits laitiers même si certains organismes sont, de ce fait,
exemptés de dragées laxatives. Puis, dès la sortie de son immeuble vers son
lieu de travail temporaire, elle voulut s’asseoir dans une voiture en
libre-service mais se ravisa, elle se mit à marcher d’un pas vif 20mn, selon le
temps prescrit, après quoi, elle relâcha son pas et fit du lèche-vitrine. À son
poste devant l’ordi, elle dut s’abstenir de fumer et, à la pose, ne vapotait
plus puisque son bureau surplombait une crèche. Au déjeuner, elle s’enquit de
conjuguer 5 légumes ou 5 fruits en alternance avec le menu de son dîner.
C’était la santé assurée, la sienne mais pas celle de son porte-monnaie ;
en effet, pour son budget, c’était presque le fin des haricots, elle n’aurait
bientôt plus un radis… Pour dessert, je n’aurai bientôt plus de
poire pour la soif, ni de cerise sur le gâteau !
Tous les moments et actes de sa vie étaient régis, jusque
dans son lit, par les injonctions réitérées quotidiennement par les médias,
mais il semblait que sa liberté n’en souffrait point. Elle savait être gaie,
les soirées de week-end, elle s’adonnait au binge drinking, biture express à la
mode chez les ados, avec sa bande de copains, en plein air de préférence, dans
la forêt de Sangerlie. C’est ainsi qu’elle attrapa une bronchite hivernale qui
est, comme chacun sait, beaucoup plus sévère que l’estivale mais comme elle
avait appris cathodiquement que les antibiotiques, c’est pas automatique, elle
pratiqua l’auto-médication par les plantes. Ce traitement, la dernière mode en
matière de santé, fut tellement efficace qu’il la tint loin de la fac pendant
plus de 3 mois. Et voilà pourquoi, elle fut complètement absente lors des
partiels alors qu’à son habitude elle ne l’était que partiellement le restant
de ses cours. Elle dut se réinscrire en septembre et redoubler son année. Comme
elle retraçait le cours des événements, les cordons de ses larmes se
défaisaient. En plus, je ne peux ni ramener ma fraise chez Sébastien, ni
l’inviter à la maison. Tous mes efforts pour des prunes ! Et c’est qui la
cornichonne de l’histoire ? Ma pomme !
Mais, puisqu’elle croyait profondément, passionnément et
naïvement au leitmotiv de Tom, elle ne s’assombrit pas davantage et alla décida
d’aller passer l’été au soleil en Lerope ou pourquoi pas sous les Tropismes
comme elle disait.
14. Quand
Sébastien se mit à fouiller dans le passé de Candida (IP)
Sébastien connaissait assez Candida pour savoir qu’elle
faisait semblant de faire bonne figure, tempêtes et tornades se déchaînaient en
elle. Pour l’apaiser, il résolut d’aider son amie à retrouver sinon ses parents
du moins sa mère. L’idée de préparer une heureuse rencontre lui traversa
l’esprit. Il chercha sur internet des sites de mères ayant abandonné leur
enfant, consulta des blogs d’enfants cherchant leur mère biologique, se rendit
compte de la souffrance non verbalisée, s’informa sur des forums et visita des
pages d’experts en psychologie. De nombreux sites étaient en anglais et son
niveau dans cette langue ne lui permettait pas de tout comprendre. Il avait
pensé se débrouiller tout seul puis résolut de recourir à Tom, dont il était
légèrement jaloux, celui-ci ayant plus d’assurance que lui. Il espérait,
cependant, que Candida n’en pinçait que pour lui-même.
En plus, Tom connaissait bien mieux que lui les méandres
informatiques. Il lui fit des traductions orales mais surtout trouva le chemin
d’une base de données. Sébastien ne savait pas trop si elle était normalement
accessible à tous. Y figuraient le portrait de chaque femme dans ce cas, mais
des étoiles en cachaient le nom. Il y avait des centaines de femmes avec photo
et il fallait rentrer dans chaque fiche pour trouver les informations. Tom
dénicha cependant le moyen de récupérer un fichier sous forme de liste. Ils
crurent qu'il ne leur restait plus qu’à faire une recherche avec la date de
naissance de Candida pour trouver le nom de sa mère biologique. Que nenni, il
fallait, en outre, l'heure de naissance. Comment l'obtenir ? Ils décidèrent
d'aller interviewer Suzie. Après tout n'était-ce pas elle qui avait soulevé le
lièvre ? La petite sœur se montra coopérative et envoya un mél à la
mairie de la commune où était née Candida : "Nullepart-sur-Rien"
mais garda le secret sur la manière dont elle avait glané ce renseignement.
Tom prit le temps de fermer toutes les applications sur
l’ordinateur de Sébastien et d’opérer quelques manipulations complémentaires
dont ce dernier ne comprit pas vraiment la raison. Ils discutèrent ensuite de
la façon dont ils informeraient Candida. Le premier était partisan de lui dire
tout de go, la jugeant tout à fait solide psychologiquement. Le second, plus
circonspect, s’inclina devant les arguments de son aîné qui connaissait
les arcanes de l’âme humaine. Ils se rendirent donc ensemble chez leur amie et
lui présentèrent les résultats de leur quête sous forme de courrier
confidentiel.
« Qu’importe si ma mère m’a abandonnée. Certes, je
n’existerai pas sans cette personne Merci de vos recherches. »
Candida déchira avec application l’enveloppe et son contenu.
La vie, droit devant, était belle.
15. Ce
qu’il advint de Candida, d’un luthier, d’une carte de visite (MM)
Candida se ressentait un esprit nouveau dans cette ville
verte et bleue. Elle était par le clapotement de l'eau parfois apaisée voire
mélancolique, parfois excitée comme ces vaguelettes qui frappaient le quai.
Elle avait fui la ville de Sangerlie pour descendre dans le sud pour un job qui
lui fournirait de l’argent pour financer son prochain voyage et puis elle
verrait…
Le projet d’aller vers les Tropismes, comme elle disait, la
taraudait. Peut-être s’embarquerait-elle dans un bateau pour Canger ?
Comme celui, énorme, qui faisait retentir dans le port sa sirène dans la nuit
froide et argentée.
Elle se contentait d’un petit job qu’elle avait trouvé chez
un luthier du nom de Pangolin. Un nom d’origine italienne, comme beaucoup ici.
Ce bonhomme, costaud, rougeaud et jovial voulait lui enseigner les secrets du
métier. L'usage des tasseaux, de la touche, des sillets hauts et bas. Il
voulait lui apprendre à valser avec la barre d'harmonie, plonger dans l’âme de
l'instrument, pénétrer les secrets des ouïes. Faire corps avec le chevalet, le
cordier, les attaches cordier, les chevilles, boutons et filets, volute
d'éclisses et de contre éclisses. Lorsqu'il la voyait franchir le seuil, il
était ému, car il voulait devenir son mentor.
Apprends un métier ! lui répétait-il Regarde
la prestigieuse école de Crémone qui a inventé le violon, l'alto et le
violoncelle ! Ne laisse pas ta vie, ton talent couler comme l'eau d'une
fontaine. Candida l'aimait bien cet homme et elle savait que ses propos étaient
empreints de bon sens, mais elle ne se voyait pas finir ses jours dans cette
échoppe. Elle avait trop besoin de liberté.
Dès qu’elle sortait de la lutherie, elle longeait rapidement
les rues étroites de la ville pour se délecter des gâteaux aux amandes, à la
pistache, au chocolat et aux noisettes que son ami le pâtissier Bongo lui
concoctait. Ensuite, elle filait par les escaliers, dépassait le cimetière
marin et s’asseyait les jambes croisées et les coudes dans les mains pour
admirer le coucher de soleil cramoisi, le visage caressé par le vent.
Un jour elle partirait.
Par une belle soirée d’été alors qu’assise elle rêvait
boudeuse et silencieuse au pied du grand réverbère, une ombre noire s’avança
devant elle. Un homme en soutane et chapeau noir d’une voix grave lui
murmura : « Je vous observe ma fille et vous me paraissez bien lasse.
Savez-vous que Dieu vous accompagne, savez-vous que Dieu est en
vous ! »
Ah oui merci monsieur, je veux dire mon père, excusez-moi…
Puis elle se leva et regagna sa chambrette. Elle enfila prestement ses
espadrilles et regagna le sommet de la colline. Les bourrasques, de vent et de
pluie, avaient lavé la place qu'elle aimait. Au loin, les bateaux luttaient en
franchissant les vagues d'écume et les nuages se poursuivaient comme des
enfants ivres de vie.
Candida restait immobile, pareille à une statue de sel.
Tout d’un coup, dans son dos, elle sentit une présence.
L'homme avait les mains sur les hanches et la scrutait de ses yeux verts.
Comment tu t'appelles ? Quel âge as-tu ? Tu fais quoi dans la vie
? Plus il souriait, plus cela la mettait mal à l'aise. L'homme était mat
de peau avec une oreille percée d’où pendait une créole en or. Des santiags
violettes, un pantalon et un blouson de cuir et une croix attachée à une large
chaîne qui pendait sur sa chemise ouverte.
Candida éprouvait un curieux mélange d’attirance et de
répulsion pour cet individu. Elle se leva prestement, voulut s’enfuir, mais
l'homme lui prit le bras d'une main ferme, et de l'autre, lui remit une carte
de visite.
« Sait-on jamais, je suis sur le quai numéro 1, les
lumières rouges, La Sentinelle, ça
s’appelle, viens, une jolie fille comme toi … »
Candida faillit hurler mais l'homme tout en continuant à
sourire relâcha son étreinte et la laissa s'enfuir. Elle descendit rapidement
les escaliers en serrant la carte, puis, dans une encoignure de porte protégée
de la vue des passants, elle ouvrit sa main et put lire : Babylone, Cabaret rock et effeuillage
Burlesque.
Elle savait déjà qu’elle s’y rendrait.
16. Ce
qu’il advint à Candida en Extrême-Orient (CAD)
En fait, le Babylone était un vieux rafiot dont l’équipage
avait traversé moult tempêtes Dès l’arrivée de Candida, il leva l’ancre. Un peu
surprise, elle demanda quelle était la destination prévue, il lui fut répondu
que le bateau se dirigeait vers l’Orient et que ce voyage ne lui coûterait pas
un kopeck. Cela lui suffit pour vivre sereinement les jours de navigation. Un
beau jour, on lui dit qu’elle était arrivée. Où donc ? Elle ne voyait rien
de connu, mais on lui fit savoir qu’elle était attendue. En effet, un beau
jeune homme, Akira Yamamoto s’inclina devant elle. Il lui souhaita la bienvenue
au pays du soleil levant et lui proposa – en l’appelant respectueusement
Candida San - Mademoiselle Candida - d’être son chevalier servant pour visiter
la capitale. Elle se demanda si, en tant qu’étrangère, elle était perçue comme
sainte ou intouchable
Elle allait bientôt avoir la réponse. Monsieur Yamamoto
entreprit de lui faire visiter les grandes villes du Ponja. Après un court
séjour à Mokyo, il la fit venir à Cyoto, l’ancienne ville impériale et l’une
des villes les plus agréables de l’île. En fait, c’était le siège d’une secte
mafieuse qui régnait en maîtres sur la cité. Candida San, fort surprise d’avoir
rencontré un homme si bien fait, si avenant à son égard et parlant suffisamment
bien l’anglais. Elle était ravie de loger dans un palais en bois, très bien
agencé, avec des portes coulissantes, des tatamis sur le sol, une vue sur un
joli jardin zen et un environnement beau et calme. Elle fut présentée à une
dame aux traits appuyés, au demeurant très charmante Mariko San, Madame Mariko
qui décida de l’habiller de deux façons : soit, en costume traditionnel
pajonais avec plusieurs parures en soie, un énorme obi entourant sa taille et
une coiffure en coque, soit avec des tenues de grands couturiers français et
internationaux (Gior, Barmani...). Rien n’était trop beau pour parer la petite
Française.
Candida San n’avait jamais été aussi belle et sexy. Tout en
s’amusant d’être coiffée et déguisée en pajonaise authentique, elle trouvait
les préparatifs interminables. Le miroir lui renvoyait une image nouvelle. Son
allure, son maquillage, sa tenue étaient l’objet de l’admiration de tous ceux
qui la rencontraient. Elle était à 1000 lieues de se douter du rôle de Mariko
San. Elle se disait qu’elle vivait un conte de fées.
Toutefois, un soir, alors qu’elle participait à une
réception donnée en son honneur par Mariko San et les dirigeants de la secte
mafieuse et qu’elle regardait avec intérêt les serveurs déambuler avec
d’immenses plateaux en argent garnis de cocktails sushi, tempura, makis…,
Candida San eut soudain la nostalgie de son pays natal, de sa vie familiale
avec sa petite sœur, de ses parents aimants. Elle se mit à réfléchir à
l’aventure dont elle était l’héroïne. A l’autre bout du monde, elle se posa la
grande question existentielle : Que suis-je venue faire dans cette île ? Elle,
la petite adolescente de Sangerlie qui avait à peine terminé son parcours
scolaire, se trouvait dans un pays inconnu au milieu d’un parterre d’inconnus
qui semblaient tous très riches et puissants sans doute célèbres : (patrons
d’industrie, des hommes d’affaires, des banquiers, des politiques, des
diplomates, des journalistes, des femmes très élégantes revêtues du somptueux
costume traditionnel en soie. Tout était d’un raffinement extrême.
Pourquoi tant de fêtes, tant de réceptions, tant de parures,
tant de cérémonies, tant de richesses ? Tout était merveilleux et Candida San
avait l’impression de vivre un véritable conte de fées. Elle était adulée comme
un être exceptionnel. Et pourquoi elle ? Quelques remarques, des sourires
entendus, quelques phrases mais surtout quelques attitudes entreprenantes de
certains convives, la façon de se comporter des serveurs, tout cela commença à
l’inquiéter. Candida, bien que jeune et inexpérimentée, se sentit être la proie
d’une organisation sans scrupules et très dangereuse. Elle se souvint d’un
cours du collège Sangerlie où le professeur d’histoire-géo, Théo Sékan,
d’origine arménienne, avait abordé l’originalité des mafias pajonaises et leur
rôle néfaste sur le plan international : les yakuzas en effet, constituent un
groupement sectaire et mafieux qui opère dans les milieux de la grande
criminalité – drogue, narcotrafic, traite des êtres humains -. Elle,
l’occidentale, toute fraîche et sans défense, aurait été choisie afin de
devenir un des fleurons du groupe de geishas que Monsieur Yamamoto recrutait et
que Mariko San, mère maquerelle formait pour qu’elles satisfassent les plaisirs
des riches ou des haut placés pajonais … ?
Elle se fit le serment de se libérer et pensa alors au
refrain du coach de sa petite sœur : « la vie est belle ». En effet,
jusqu’à présent, elle l’était alors comment échapper à ces criminels ?
Elle élabora alors un plan d’évasion : elle prétendrait vouloir mieux connaître
le Pajon, se passionner pour les grands musées de villes importantes afin de se
réfugier dans une ambassade ou un consulat français, exposer les dangers qui la
guettaient et se faire ensuite rapatrier par les services diplomatiques…
Tout à coup, pendant la réception au palais en bois, un
phénomène extraordinaire se produisit ! Une secousse violente eut
lieu : les tables dressées de mets savoureux se cassèrent, les invités
tombèrent comme des baguettes de Kimado, le bâtiment s’effondra sur les
convives dont certains furent emprisonnés entre des pans entiers de murs en
bois, des poutres et les étages du palais. Une panique envahit la ville, des
cris, des hurlements, des sirènes retentirent… Il y avait des victimes, des
blessés, des morts, des ensevelis sous les bâtiments. Sans comprendre, Candida
se mit à courir hors du palais de bois, les coutures de son kimono craquèrent,
elle se retrouva parmi les rescapés, esquissa un triste sourire se disant que
cette catastrophe était pour elle un début de libération… Après avoir couru au
milieu des flammes et des débris de toutes sortes qui jonchaient les rues, elle
parvint à se diriger vers les services de secours et les nombreux camions de
pompiers qui sillonnaient la ville. Un des sauveteurs la dirigea vers un bus
allant à Myoko, lieu sûr pour les rescapés.
Le lendemain du tremblement de terre, grand branle-bas de
combat : des centaines d’envoyés spéciaux venus du monde entier avaient été
dépêchés au Pajon. Non seulement, il s’était produit un gigantesque tremblement
de terre, de niveau 6 sur l’échelle de Richter, mais il y avait eu
parallèlement un tsunami dans la Mer du Pajon qui avait recouvert les terres en
bordure du rivage emportant tout sur son passage et surtout, le tsunami avait
noyé la centrale nucléaire de Kufushima, située sur le rivage. Désormais sur
une grande partie du Japon se déversaient des flots de nuages radioactifs !
Une fois encore, Candida remercia sa bonne étoile. Après
avoir répondu à des interviews de plusieurs médias étrangers, elle fut prise en
charge par l’ambassade et put être rapatriée par le premier avion en direction
de Parici.
Décidément, elle l’avait échappé belle !
17. Comment
Candida échappa aux diktats de la mode (JV)
Après cette aventure et rentrée à Sangerlie par le train de
18h32, Candida l’index en bataille sur sa souris naviguait de par le monde
grâce à Hunternet-le-Grand. « Fort bien, se dit-elle, je m’en vais moi
aussi tenter de ressembler à ces égéries riantes vêtues de drap d’or et suivies
par des légions de courtisans ! » Elle explorait, tournait et
virait sur la Toile avec une belle constance, car la mathématique des octets
lui avait été enseignée par Tom. Il lui prodiguait un enseignement régulier des
meilleures pratiques et lui disait chaque jour : « Clique, Cand,
clique, il en restera toujours quelque chose ! »
D’ailleurs, son gentil camarade Sébastien avait profité d’un
après-midi où ils étaient seuls à la maison pour partager avec elle une série
de saynètes animées et fort coquines qui l’avaient fortement émoustillée. Mais
là n’était pas le sujet de préoccupation du jour de Candida. En effet, elle
voulait se mettre au parfum de la mode en surfant sur des sites comme
Tendances, Hightech Fashion…
Elle observa un portrait en pied de Lady Cracra, seulement
vêtue d’une peau de chèvre naine du Tucuman et d’un chapeau orné de plumes de
merles du Surinam, qui était assez seyant. Ou bien encore Maria Cotillon parée
des plus beaux atours de la maison Gior. Ah, toutes ces femmes si belles et aux
allures de princesses ! Elle enregistra sur son disque en cristal de roche
une série de représentations de Justin Bippeur, ses amis les frêles Tou Bi
Frits et du spécialiste écossais du Jeu de Paume que l’on nommait Handy Muret.
De jeunes coqs pleins de vie, assurément poètes et bretteurs ?
Elle navigua avec furie jusqu'à découvrir l’adresse, l’heure
et en quel super palace paricien se déroulait le défilé de mode du vicomte
autrichien Charles Kalerfeld. Devant les grilles du palais, boustée par son
culot et sa belle jeunesse, elle passa sans peine le barrage d’une paire de
vigiles peu amènes mais attendris par ses bonnes joues et son sourire charmant.
Elle allait voir en live de quelles robes, parures, caracos, pourpoints et
jabots il fallait se fringuer pour briller en ce monde. Au centre d’une vaste
salle, vivement éclairée de mille bougies, une avancée de bois semblable à un
quai de port fluvial se trouvait au milieu exact de quelques rangées de sièges.
Cette avancée était reliée à une scène de théâtre d’où allaient surgir les
modèles et leurs atours. Candida se faufila jusqu'au premier rang, entre un
Perse bedonnant et une vieille duchesse pommadée et néanmoins presque mourante
(voir tableau de Goya) qui battait avec agacement l’air de son éventail de
nacre. Un public huppé, poudré, hyper parfumé aux lèvres pincées se tenait là,
bruissant et en attente. Soudain des violes de gambe entamèrent une marche
funèbre, des laquais soufflèrent la moitié des bougies et tous les Smart Faunes
furent allumés. Un tambour lancinant démarra une sourde chamade. Le rideau du
fond s’ouvrit et le défilé débuta. L'une après l'autre, les mannequins
surgissaient d'un enfer glacial puisqu'elles avaient l'air gelé, boudeur, voire
mécontent, en équilibre si instable qu'elles se dépêchaient de repartir au plus
vite, sous les soupirs de pâmoison de quelques spectatrices.
Candida resta pétrifiée pendant toute la cérémonie, et
sortit presque en larmes au bout d’une petite heure. Elle courut pour attraper
le train A de 18h46, qu'elle attendit une bonne demi-heure et des brouettes et
où elle se trouva comprimée entre un attaché case aux angles vifs, des
doudounes pas lavées depuis 3 hivers et des corps en manque de déodorant.
Arrivée à Sangerlie, elle s’effondra dans les bras de sa mère Béatrice et vida
son cœur : Maman, je ne veux pas être comme ces diablesses ! Toute
chair semble avoir été aspirée par le Mal ! Leurs os sont saillants, leurs
cuisses sont plus fines que leurs mollets ! Leurs regards vides et
sinistres, leurs visages sans ride et sans l'ombre d'un sourire. Ah, Maman, ce
que j’ai vu sur l’Hunternet n’est qu’apparence et la réalité est infiniment
moins que fiction! C’est ainsi que Sagesse et Raison firent leur entrée dans le
cortège des dons de Candida.
Elle échappa de facto aux diktats de la Mode et se vêtit dès
lors avec sobriété, préférant désormais partager de plus tendres moments avec
le gentil Sébastien qui tenait à lui démontrer le doux penchant qu’il avait
pour elle…
18. Candida
et la belle contrée (HS)
Candida aimait sa ville et son ambiance…les sans-culottes
qui ne connaissaient sans doute que les hauteurs du village de Hautmartre
n’avaient-ils pas débaptisé son nom chrétien pour la nommer « la montagne
du Vel-Air » en 1793 ?
Mais Candida avait besoin d’évasion et se régalait des
récits de sa grand-mère d’adoption sur les hauts faits d’une branche familiale
partie pour une vie meilleure sur les « quelques arpents de terre » dédaignés
par Voltaire. Que de récits exaltants en effet : un ancêtre avait été scalpé
par un iroquois sur les rives du Saint-Laurent, la cuisinière en fonte d’un
chariot avait transpercé le plancher de la carriole lors de la traversée à gué
de la rivière du Loup en face de Tadoussac…lors du premier hiver la famille
avait été bloquée huit jours par la neige dans son abri de fortune…
Candida rêvait de ce continent mystérieux que ces ancêtres
atteignirent après six semaines de traversée à bord de voiliers au nom
évocateur : Sylvie de Grasse, Christophe Colomb…
Pourquoi ne serait-elle pas une nouvelle Marie
Chapeaulaine ?
Candida prit la décision d’entreprendre ce voyage vers les
lointaines Amériques et se décida à entrer dans une agence de voyages. On la
dissuada vite d’attendre la fin de la prochaine Transat Tébec-Saint-Mali pour
partir là-bas avec un équipage canadien et on la convainquit de prendre un
billet d’avion qui la déposerait commodément à Bontréal en huit heures…Dieu
merci, à l’évocation de la mortalité effroyable qui ravageait autrefois les
immigrants de 3ème classe logés au fond d’une cale, elle ne risquait dans la
classe- touriste low-cost que quelques trous d’air et des chevilles enflées.
Elle atterrit à Bontréal sans encombre…cherchant cette
fameuse « cabane au Canada » vantée par son aïeule. Elle fut un peu
surprise par la taille des gratte-ciel mais fut heureuse de découvrir la petite
église, lieu du mariage d’un cousin, blottie entre deux immenses immeubles aux
façades réfléchissant la lumière. Après quelques moments d’étourdissement, elle
s’estima fort « chanceuse » en employant toute fière des rudiments du parler
local. La jeune fille entreprit de descendre le Saint-Florent jusqu’à Tébec.
Nourrie de gravures anciennes, elle demanda innocemment à une officine comment
atteindre en pirogue ce lieu célèbre où le fleuve s’élargit. Un représentant de
la belle Province se moqua gentiment de cette cousine de France. Il n’y avait plus
depuis longtemps d’indien pagayant sur le fleuve mais elle pouvait soit
reprendre l’avion sur une compagnie locale qui lui demanderait presque aussi
cher (sic) que pour traverser l’Atlantique, soit de monter à bord d’un car
confortable qui lui coûterait simplement quelques piastres.
Candida suivit ce conseil et après avoir « magasiné
chez un dépanneur » quelques provisions, elle prit place dans un grand
car, équipé de toilettes, de fauteuils inclinables et d’écrans TV individuels,
conduit par un chauffeur dont le profil lui fit penser à celui d’un guerrier
Huron guidant des trappeurs…
En ce mois d’octobre, Candida avait entrepris sans s’en
douter un voyage initiatique qui devait profondément la marquer ! La route
qui menait vers le Nord était en soi monotone mais les forêts des bas-côtés
dévoilaient petit-à-petit leurs splendeurs. L’été de l’indien, comme disaient
les iroquois, étalait ses richesses pour Candida, le pourpre des érables, les
ors des bouleaux et une touche d‘épinettes composaient un spectacle grandiose
et flamboyant. Elle arriva transportée d’émotion dans la vieille partie de
Kébec qui lui fit penser à Saint-Mali… Depuis le château de Frontenac (ce
gouverneur qui fut le compagnon de jeu de Louis XIII à Sangerlie !)
s’étalait devant elle le fleuve et les moutonnements des collines colorées.
Toute chose a une fin et l’arrière-saison pluvieuse, les
premières gelées, la migration des oies blanches vers le Sud eurent raison de
l’enthousiasme de Candida… il fallait revenir à Sangerlie auprès des siens et
leur faire partager ses découvertes. L’enchantement de l’été de l’indien
l’avait profondément transformée, sa vision des couleurs avait pris un relief
et une acuité inconnue. Elle sentait des picotements dans ses doigts… il lui
fallait exprimer par la peinture toutes ces splendeurs… tenir une palette et
sentir l’odeur des tubes de peinture et se lancer sur la toile blanche… peindre
… oui elle allait peindre.
19. Où
Candida rencontra une ancienne amie de lycée et se voit proposer d’être la 4ᵉ
épouse du mari d’icelle
Par un bel après-midi un peu froid mais ensoleillé de
février, Candida arpentait les rues de Sangerlie, le nez au vent, le teint rosi
par l’air frais, l’esprit occupé par Tom, le coach de sa chipie de sœur
Suzie et le cœur à moitié pris par Sébastien, son meilleur ami. Elle
s’apprêtait à traverser la rue de Parici lorsqu’elle entendit derrière elle une
voix féminine l’appeler :
– Cand, Cand ! Elle se retourna et vit côte-à-côte deux
tas de tissus, épais, vert et doré drapant deux formes humaines dont n’étaient
visibles que les yeux au demeurant fort beaux, admirablement maquillés, des
ailes de papillons améthyste et jade.
– Ah ! Tu ne me reconnais pas ! fit
joyeusement la voix fraîche et juvénile jaillissant d’une des deux femmes
bâchées, recouvertes d’une fantômette pesant tout son poids de tradition
patriarcale, tenue plébiscitée par des hommes pour les femmes de la religion du
Triangle d'or pour son côté seyant, pratique et surtout protecteur contre le
regard des mécréants et le cancer de la peau. Une fantômette c’est un
indice de protection solaire d’au moins 99,98%, le 0,02% concernant les
paupières mais il est question d’ajouter une grille salvatrice devant les
yeux. Quelle admirable et surprenante religion, si soucieuse de la vertu et
en même temps de la santé des femmes !
– C’est difficile…avec, heu !…ce…vêtement
qui te recouvre…attends…attends cette voix, ces yeux…Madeleine ! C’est
toi ?
– Mais oui ! Mais je ne m'appelle plus Madeleine,
je m’appelle Cédéa maintenant et je suis mariée, claironna fièrement la jeune
femme.
Candida resta bouche bée devant son ancienne amie de lycée
qui, en un éclair, resurgit dans sa mémoire, Mado l’espiègle, la joie de
vivre même, crinière féline, jambes longues sous une jupe courte, aussi courte
que ses idées, légère et imprévisible Mado ! Celle-ci toute à la joie d’avoir
retrouvé son amie, ponctuait ses phrases de grands moulinets de ses bras
aux mains gantées. Voici Abéa, la première épouse de mon
mari dit-elle désignant le 2e fantôme à ses côtés qui
hocha la tête. Elle agrippa la main de son ancienne camarade de classe et
l’entraîna. Viens chez nous, j’ai tant de choses à te raconter !
Elles arrivèrent devant une porte cochère, rue de la
Liberté, près du musée Lachetoit et entrèrent dans une grande maison
entourée d’un beau parc planté d’arbres centenaires. Cela sent le
rupin et la thune dirait peut-être Sébastien avec sa gouaille moqueuse.
La décoration et le mobilier chargés, lourdes tentures, canapés
moelleux, tapis épais, bibelots clinquants et tables de marbre firent
grande impression sur Candida. En un tournemain, Mado-Cédéa se débarrassa
de sa fantômette et se jetant dans les bras de son amie, la serra contre
elle.
– Es-tu heureuse, Mad…heu, Cédéa ?
– Oh oui ! roucoula cette dernière Mon époux
est riche, point trop vieux, à peine 35 ans de plus que moi, souvent absent et
je le partage paisiblement avec deux autres épouses Abéa et Bécéa, mes sœurs.
– Comment cela, tes sœurs ? Tu n’étais pas fille
unique ? balbutia Candida.
Les épouses de mon époux deviennent mes sœurs et leurs
enfants, un peu mes propres enfants. Et puis, paradis sur terre, bonheur
suprême, joie indicible, je ne décide RIEN, tout est réglé, rythmé par le
Grand Écrit, les 1027 commandements du Livre Sacré, TOUT est prévu.
Et surtout, cerise sur le gâteau au miel, friandise aux pétales de rose,
je suis TOUJOURS choyée, gâtée, chouchoutée, je ne suis JAMAIS seule,
entourée de mes sœurs bien-aimées et de boîtes de durian confit, venant des
ateliers de nos vestales, le meilleur au monde.
– Alors, ici, rue de la Liberté, si je comprends
bien », résuma Candida, stupéfaite devant ces propos exaltés, « tu as
vraiment tout, sauf…la liberté de penser, lire, rêver, enfin…tout ce qui
demande un peu de solitude ».
Là-dessus, entra dans le salon où elles se tenaient, un
jeune homme brun, à la barbe rare, aux yeux rougis et brûlant d’un feu
inquiétant, un jeune homme dont le prolongement naturel était un ordinateur
relié à une souris posée sur un tapis de prières volant.
– Ramon, mon
cher frère, je te présente Candida, une amie de l’ancien temps.
Pleine de bon sens, celle-ci en déduisit qu’il s’agissait du
frère d’une des épouses de son mari.
Ramon posa sur la jeune fille un regard incandescent.
– Cher Ramon, mon amie me parlait de l’intérêt d’exercer
sa…liberté.
Cédéa cracha ce mot comme si c’était une obscénité.
– « Par Tridor, qu’il en soit ainsi à
jamais ! », psalmodia le nouveau venu
Candida commençait à se sentir de trop dans ce décor de
guimauve et de médiocre opérette.
– « Très chère Cand, sais-tu que tout bon
Tridorien peut avoir cinq épouses et même plus? Je prierai tous les jours pour
que mon souhait se réalise : veux-tu le
connaître ? » demanda, mutine, la jeune femme sans tête.
– « Heu… oui », fit candidement
Candida, se préparant tout de même au pire.
– « Je prierai pour que tu acceptes un jour d’être
cette femme comblée, épanouie, protégée de TOUT et surtout de cette ignoble
chose, l’exercice de la liberté, bref, d’être ma sœur...Déa et la 4ème
épouse de mon mari à qui tu plairas certainement !
– Oh ! Quelle perspective attrayante, je vais
sérieusement y réfléchir », souffla Candida, au bord du malaise.
– « Réfléchis, par Tridor, mais pas trop, ce n’est
pas bon, surtout pour une femme ! », grinça Ramon, la face
rougissante à l’idée de côtoyer tous les jours les courbes si voluptueuses de
Candida.
Sans hésiter, la visiteuse dans sa candeur fit ce que
détestait le plus son ancienne amie de classe, décérébrée, elle prit une
décision : fuir ! Balbutiant des salutations inaudibles, elle se rua
sur la porte d’entrée du majestueux hall, priant Tridor, Jupiter et toutes
les Muses pour qu’elle ne soit pas verrouillée ! Sainte Clavis, patronne
des serrures et des clés, l’exauça.
Dehors, les jambes flageolantes, elle s’appuya contre le mur
de la propriété qui abritait tant de paisible bonheur et de complète
aliénation. Elle murmura, le visage tourné vers le soleil et les yeux
fermés, respirant à pleins poumons l’air revigorant de la rue de la
Liberté : « Tom, tu as bien raison ! Que la vie est
belle ! »
Mais on n'échappe pas à son destin ! Candida ignorait qu'un
jour, en d'autres circonstances et lieu, elle deviendrait une des épouses d'un
chef opulent et puissant.
20. En
quelles circonstances Candida, fut otage, vendue, emprisonnée sous les Tropiques
(AM)
Au mois d’avril, les parents de Candida – un bienfait n’est
jamais perdu – héritèrent d’une vieille tante d’une coquette somme. Ils
décidèrent de dépenser cet argent dans un voyage au bout du monde tant qu’à
faire, et, après plusieurs heures passées sur Foogle, ils choisirent une petite
île des Liphippines.
Candida s’était faite à l’idée que le Paradis devait
ressembler aux images que deux témoins de Vagéoh étaient venus lui montrer
quelques jours avant son départ, des palmiers et des fleurs tropicales sur un
fond de mer émeraude et de ciel uniformément bleu avec des moutons gambadant
dans l’herbe verte et des Blancs embrassant des Noirs ou même des Jaunes. Mais
ici, au Romantic Beach Hôtel, le Paradis vous avait une autre allure avec sa
piscine à débordement, ses parasols à franges et ses chaises réglables, longues
et blanches. Candida en choisit une au hasard tandis que s’avançait vers elle,
souple et mince, un jeune serveur souriant. Elle sentit alors son cœur déborder
de reconnaissance envers la providence qui lui avait permis de connaître
l’harmonieuse beauté du monde liphippin. Elle s’endormit, bercée par le
bruissement métallique des feuilles de palmiers et la paisible respiration des
vagues.
Des hurlements et le contact douloureux entre les omoplates
d’une arme la réveillèrent en sursaut. Un quart de tour de tête lui fit voir
qu’au bout de l’arme, il y avait un encagoulé. Il la fit lever, la traîna
brutalement jusqu’au rivage et la jeta dans une banka, barque à balancier de ce
pays, où elle retrouva une dizaine de clients de l’hôtel enlevés par d’autres
cagoulés. Après une heure de navigation, les cris, les larmes et les prières
des otages s’étant un peu apaisés, Candida apprit de son voisin d’infortune, un
Felge entre deux âges, que ses ravisseurs étaient des partisans du groupe
terroriste You Kaïdi dirigés par le redoutable Faigaf. Ils vont demander des
rançons, dit le Felge, j’ai entendu dire que vous étiez de Sangerlie, ça va
vous coûter bonbon ! – Il avait lu dans La Virgule un article sur les bourgeois de cette ville – « Je, je,
je ne suis pas riche » risqua Candida, cherchant à s’échapper. Eh bien,
ajouta le Felge, ils vous vendront, et cher, car vous êtes jeune et jolie.
Candida n’eut pas le temps d’apprécier ce jugement car une vague énorme la jeta
par-dessus bord, sa tête heurta le balancier et elle coula comme une pierre au
fond de l’eau. Un des terroristes qui savait nager plongea pour la ramener à
bord et lui fit reprendre vie grâce à une dégelée de claques vigoureuses.
Trempée, transie, étranglée d’angoisse, Candida passa en mer
une nuit d’épouvante. Elle ressentit un soulagement lorsqu’à l’aube, elle
aperçut la possibilité d’une île. À peine eut-elle débarqué sur un éboulis de
roches glissantes au pied d’une montagne, qu’il fallut gravir, en file
indienne, un sentier à peine tracé dans la jungle dont les plantes épineuses
déchirant jambes et bras mettaient la chair à vif déjà dévorée par des
bataillons de moustiques. La pluie s’était mise à tomber, une de ces pluies
tropicales qui vous traversent jusqu’à la moelle. Une boue collante engloutit
une des tongs de Candida qui bientôt perdit l’autre de la même façon…mais il
fallait marcher sous peine de recevoir des coups de crosse dans les reins.
Enfin, après plusieurs heures de montée, les otages
atteignirent une clairière où se trouvaient des sortes de cabanes en bois dans
lesquelles les Poujadistes les enfermèrent à demi-morts de fatigue et de faim.
Un des ravisseurs ordonna à Candida de se vêtir d’une longue robe sac ; ça
me protégera au moins des moustiques, se dit-elle. Si elle ne fut pas violée
comme les autres captives, c’est justement parce qu’elle était jeune et jolie
et que ses ravisseurs espéraient en tirer un bon prix. En effet, arriva bientôt
un jeune chef qui venait proposer des armes aux partisans de Faigaf. À travers
la fente de sa robe couvrante, le chef aperçut les yeux de Candida et il les
trouva les plus beaux du monde. Vendez-moi cette femme ordonna-t-il au chef, et
je vous en donnerai quarante kalachnikovs. À quarante-cinq, plus les balles, la
vente fut conclue et Candida s’envola avec son chef jusqu’à Kanama qui est,
comme chacun sait, la capitale du Farein. Quelle chance, pensa la jeune
captive, être achetée par un chef est tout de même moins éprouvant que d’être violée
par une dizaine de terroristes liphippins. C’est ainsi que Candida devint la
quatrième épouse du jeune Al Ferrari qui habitait, au vingtième étage d’un
gratte-ciel un très joli appartement meublé de canapés en satin capitonné,
équipé de robinets en or dans la douzaine de salles de bain. Les trois autres
femmes d’Al Ferrari étaient des filles charmantes et Candida ne tarda pas à
s’en faire des amies échangeant robes et bijoux et pouffant de rire en
racontant les gâteries que leur prodiguait à tour de rôle l’homme qu’elles
partageaient sans jalousie.
Et si on allait faire quelques courses place Denvôme ?
dit un jour Al Ferrari qui était bon garçon. Les quatre épouses applaudirent à
ce projet et Candida se retrouva au Glarton. Elle avait eu son compte de tajine,
de kebab, de loukoums et autres cornes de gazelle. Ses parents l’air vivifiant
de la forêt de Sangerlie et surtout sa liberté lui manquaient. Aussi
loua-t-elle une voiture discrète qu’elle fit garer derrière l’hôtel. Mais son
projet d’évasion avait été découvert par des agents de la sécurité intérieure –
qui l’avaient mise sur écoute et la surveillaient jour et nuit. Ils avaient été
alertés par un douanier de Voissy leur signalant la présence insolite d’une
jeune femme parmi les épouses d’un chef étranger. Il n’avait pas fallu
longtemps avant qu’un agent de la sécurité intérieure, plus éveillé que
d’autres, ne découvrit qu’un des ancêtres de Candida, un certain Dominique
Salmonetti, se trouvait être aussi l’ancêtre d’Ange Salmonetti, un trafiquant d’armes
vivement recherché par la police. Ah ! Ah ! Salmonetti était donc le cousin de
Candida ! Par-dessus le marché, on avait cru apercevoir un homme coiffé d’un
keffieh en train de dîner avec Salmonetti dans un bar de la rue du Mas de la
Tule. De là à penser qu’il s’agissait d’Al Ferrari et que Candida, son épouse
et cousine de Salmonetti, était mêlée à l’affaire, il n’y avait qu’un saut de
puce de chameau.
Candida ignorant tout de son cousin, se dirigea
tranquillement vers Sangerlie et ce n’est qu’à la hauteur de Ralmaison qu’elle
s’aperçut qu’une voiture grise la suivait. Elle accéléra, prit un virage à
gauche sans ralentir, heurta un trottoir et vint s’encastrer dans le pilier
d’un panneau marqué « Sens interdit ». Les deux agents de la sécurité intérieure
la cueillirent sans ménagement et l’emmenèrent au poste où elle se trouva nez à
nez avec son cousin corse dont elle fit ainsi la connaissance et qui lui fit
comprendre qu’avec les relations qu’il avait, elle ne moisirait pas longtemps
en prison. Comme la vie était bien faite !
Épilogue
(CAD, SS)
Candida avait été profondément marquée par ses aventures
ainsi que ses amis proches. Elle avait craint pour sa vie et avait été
emprisonnée. Heureusement grâce à l’intervention d’un cousin si éloigné qu’elle
n’en avait jamais entendu parler, elle venait d’être libérée.
Il était temps d'avoir une conversation sérieuse avec ses
deux amis. Sébastien avait connu le désespoir d'apprendre les souffrances de sa
chère Cand. Son amour pour elle était intact et il souhaitait vivre avec elle
pour toujours. Dès qu'il apprit son retour, il se précipita chez elle avec un
superbe bouquet de roses. Il lui signifia qu’il souhaitait de tout son cœur
vivre avec elle. À ces mots, Candida ne se tint plus de joie, se jeta dans
ses bras et pleura de bonheur. Elle s'était rendu compte qu'elle l'aimait
aussi. Il l'avait toujours écoutée, aidée, et il avait composé une chanson pour
qu'elle devienne chanteuse, tenté de retrouver sa mère biologique, bref, il
méritait d'être l'élu de son cœur... D’ailleurs, il sut se faire apprécier de
monsieur et madame Bécébéger.
Tom, fidèle à son optimisme inébranlable, fut ravi de
retrouver son amie saine et sauve et ne pût s’empêcher de lui faire un petit
couplet à sa façon : Malgré toutes les expériences traumatisantes –
apprendre tardivement ton adoption, être tombée dans les griffes de la
secte mafieuse, avoir vécu un tremblement de terre et un tsunami, être prise en
otage, être jetée en prison – tu es ici avec nous prête à vivre une vie
nouvelle que je te souhaite pleine de bonheur.
Les trois amis connurent par la
suite une vie calme et harmonieuse : Candida devint professeur de lettres,
Sébastien ingénieur physicien et Tom psychologue. Les tourtereaux volèrent en
justes noces, eurent deux enfants et roucoulèrent longtemps, longtemps…
* *
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